Rentrée littéraire 2021

Jean-Baptiste Del Amo, «Le fils de l'homme» (Gallimard) : Apprentissage sauvage

Jean-Baptiste DEL AMO - Photo © Julien Benhamou

Jean-Baptiste Del Amo, «Le fils de l'homme» (Gallimard) : Apprentissage sauvage

À travers une famille coupée du monde, Jean-Baptiste Del Amo sonde les liens du sang, du cœur et des sentiments les plus obscurs. Éblouissant !

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Par Kerenn Elkaim,
Créé le 02.08.2021 à 12h30

Toujours, les hommes ont cherché une vie meilleure ailleurs. Ce livre s'ouvre sur le chemin de l'exil, aux côtés d'hommes, de femmes et d'enfants égarés. Ils semblent mus par le même mouvement, entre résignation et survie, comme s'il y avait quelque chose de purement bestial, instinctif et intemporel en eux. Il en va de même dans la plume magistrale de Jean-Baptiste Del Amo (Règne animal, 2016), qui dissèque les liens humains comme personne. La caravane du début laisse place à un vieux break, dans lequel siège une famille. Que fuit-elle ? La mère, le père et le fils n'ont pas de prénom, mais chacun a une personnalité bien corsée. Le roman va jusqu'à révéler l'écorce de leurs sentiments...

L'enfant a 9 ans, ça fait six ans qu'il n'a pas vu cet étranger, qui s'était évaporé du foyer. « L'absence du père laisse planer », sur lui et sa mère, « une lointaine menace, trace d'une ligne imaginaire qui tient lieu de barrière. » Aussi ont-ils tissé une relation quasi fusionnelle. « Mon petit rouquin, mon renardeau. C'est toi, mon homme », lui susurre-t-elle à l'oreille. Ils ont morflé, connu la pauvreté et l'ennui, mais cette battante a décidé d'offrir une seconde chance à son compagnon. Pour rebâtir leur cocon, ils ont choisi de s'arracher au monde. Une vision utopique qui risque de virer à l'ambiance catastrophique. Tous trois s'installent aux Roches, dans une végétation luxuriante. Un décor majestueux qui évolue comme une toile d'Anselm Kiefer. Si le père s'avère sévère et débrouillard, la mère possède des yeux d'une « infinie tristesse. » « Tempétueuse, entière et passionnée », elle est « sans cesse tiraillée par le doute, le remords, les élans de gaieté et de profonds abattements. » Sa grossesse « lui confère un mystère, une gravité nouvelle. » Le rapport au corps est très présent chez Del Amo car il est synonyme de vie et de mort. Pour le petit garçon, le lien au père s'opère dans le silence et une complicité précaire. Mais tout bascule lors d'une révélation bien innocente. Ils découvrent alors que « l'amour est une maladie, un virus inoculé dans le cœur des hommes, ce cœur déjà malade, déjà pourrissant, rongé de tout temps par la gangrène. » Les maladresses et les non-dits ont parfois raison des sentiments les plus puissants.

Ils sont renforcés par le silence des hommes, les pièges solitaires, la parentalité boiteuse et les désillusions qui ne permettent pas toujours le pardon, à l'autre et à soi. Ce n'est pas la première fois que l'auteur présente une cellule familiale étouffante, mais ici il le fait à hauteur d'enfant, qui hésite à devenir grand. La violence est toujours tapie quelque part, inévitablement, insidieusement. Jean-Baptiste Del Amo donne une âme à ce drame. Son sens de la description bénéficie d'une langue richissime. On oscille constamment entre le nature writing, le conte et le roman psychologique. Une écriture somptueusement lyrique, aux accents organiques, décrivant intensément les déraillements de l'existence.

Jean-Baptiste Del Amo
Le fils de l'homme
Gallimard
Tirage: 30 000 ex.
Prix: 19 € ; 240 p.
ISBN: 9782072949937

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