Avant-critique Roman

La chevelure. La maison Corti, éditeur historique de toute l'œuvre de Julien Gracq (1910-2007) depuis Au château d'Argol (1938), a eu la bonne idée de reproduire en fac-similé et en annexe au volume le plan, de la main de Gracq, de ce qui s'appelait à l'origine La maison du taillis, ainsi que les deux états du manuscrit de ce qui deviendra La maison, l'ensemble étant conservé à la BnF.

C'est un document exceptionnel, émouvant, où l'on voit l'écrivain à son établi. Le premier état est extraordinaire, quasiment proustien : ce ne sont que ratures et ajouts, repentirs, qui font parfois tanguer la mise en page de chacun des douze feuillets, ordonnés en une longue colonne régulière et calibrée, une cinquantaine de lignes d'une écriture serrée, sans fioritures, lisible. Si conforme à l'œuvre et à la personnalité de Gracq. Il n'y manque que des paperolles ! Le deuxième (second ?) état, lui, est bien plus net, même si quelques interventions de l'écrivain y apparaissent encore, retraits et ajouts allongeant le texte d'un feuillet. On s'achemine vers le définitif, le publiable.

Il aurait fallu, pour être archéologiquement exhaustif, ajouter au dossier le fac-similé des épreuves de La maison, pour voir si Gracq aurait encore remanié son texte. Impossible : cette novella, dont l'écriture remonterait à la fin des années 1940, n'a pas été publiée par Gracq de son vivant, et c'est d'ailleurs un mystère sur quoi, dans leur postface, Maël Guesdon et Marie de Quatrebarbes, les nouveaux patrons des éditions Corti, tentent de lever un coin du voile. Gracq aurait été requis, à ce moment-là, par d'autres travaux plus importants.

La maison part d'un certain nombre d'éléments concrets et autobiographiques. En 1941-1942, Louis Poirier, professeur d'histoire-géographie au lycée d'Angers, effectuait quasiment chaque semaine, en autocar, le trajet d'A. (Angers) à V. (Varades), afin de rentrer chez lui, à Saint-Florent-le-Vieil, à travers un paysage qu'il décrit comme le plus désolé, ingrat, hostile qu'il ait jamais vu. Une brande, comme on dit dans le Poitou. Et puis, à un moment, il apercevait une maison de plage ancienne, prétentieuse, trop haute, grotesque, délabrée, « une maison où se pendre ». Comment résister à la tentation de la visiter ? Un soir de novembre, il se fait déposer à proximité par le car, entre chien et loup, moment propice au fantastique. L'ambiance est angoissante. Il pleut à verse. Deux coups de fusil résonnent. Dans le jardin, les restes d'un repas champêtre pour deux, abandonné à cause de la pluie. Et puis, il entend une voix qui chante dans la maison du Keats en gaélique. Une femme nue, « à voix nue », qui l'appelle par son nom. Alors qu'il demeure tétanisé devant la fenêtre ouverte, en proie à la peur autant qu'à un émoi sensuel, il distingue deux pieds nus qui s'approchent, et « une longue chevelure blonde, la chevelure défaite d'une femme »...

Fantastique « froid », réminiscences baudelairiennes, descriptions et longueur des phrases tout en méandres proustiens, cette Maison méritait qu'à son tour le lecteur de Gracq la découvre. D'autant que, de par son testament, c'est là le dernier inédit posthume de l'écrivain jusqu'aux vingt-neuf cahiers de ses Notules qui seront accessibles seulement après 2027, soit 20 ans après sa mort.

Julien Gracq
La maison
Corti
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 15 € ; 84 p.
ISBN: 9782714313010

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