Cinéma

Katalin Por, «Lubitsch à Hollywood» (CNRS Éditions) : Le malin d'Hollywood

Katalin Por - Photo DR

Katalin Por, «Lubitsch à Hollywood» (CNRS Éditions) : Le malin d'Hollywood

Katalin Por porte un regard nouveau sur le personnage et l'œuvre d'Ernst Lubitsch qu'elle nous montre au travail. Tirage à 1500 exemplaires.

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Par Laurent Lemire,
Créé le 08.06.2021 à 19h59

« Dans l'idéal, un réalisateur ne devrait faire un film que lorsqu'il a une idée, de même qu'un artiste ne crée que lorsqu'il a quelque chose à dire, mais la nécessité de produire un nombre prédéterminé de films rend pareille liberté utopique. » Utopique, mais pas impossible. Lorsqu'il prononce ces mots, Ernst Lubitsch (1892-1947) a déjà bien compris la mécanique hollywoodienne et ses contraintes, suffisamment en tout cas pour s'en affranchir tout en faisant mine de la suivre. Il faut dire que le réalisateur d'origine allemande est considéré comme un level talent, un artiste d'exception auquel on refuse peu de choses. Au travail imposé par les studios, on le laisse donc apporter son style et sa liberté.

Katalin Por (Université de Lorraine) nous fait entrer dans les coulisses de cette grande machine à rêves qui n'a de cesse de mettre des bâtons dans les roues du carrosse de Cendrillon, notamment par la censure. Lubitsch doit, comme les autres, se plier aux contrôleurs du code Hays qui veillent à la rigueur morale dans les productions cinématographiques. Sauf qu'il ne le fait pas ! En 1940, une scène de beuverie est jugée trop longue dans Ninotchka. Réponse de Lubitsch : « Un art comme le cinéma doit être franc dans son expression, mais les interdictions érigées par les légionnaires l'en empêchent. » Celui qui est l'un des réalisateurs les mieux payés d'Hollywood s'arrange donc pour contourner ces ligues de vertu. Il va même jusqu'à collaborer avec la très conservatrice Production Code Administration (PCA) pour préserver son intégrité artistique et continuer à faire comme bon lui semble.

Il faut dire que Lubitsch donne du fil à retordre aux censeurs. Ses films sont tellement tissés qu'il est difficile d'en ôter une scène sans dénaturer l'ensemble. Ses comédies sont ancrées dans la réalité européenne et lorsque dans To Be or Not To Be un personnage qui ressemble à Hitler ordonne à deux pilotes nazis de sauter de l'avion en vol et que ceux-ci s'exécutent après un salut au Führer, on voit bien ce que le réalisateur moque : le fanatisme.

En préservant son autonomie financière et son pouvoir de décision, Lubitsch garde la main. « Son statut lui fournit les moyens d'imposer ses vues et de construire des rapports de force face aux diverses instances, artistiques ou institutionnelles, qui interviennent dans le processus créatif. » Avec la même détermination, il impose aussi son style aux acteurs et laisse peu de latitude à l'interprétation. Comme chez Hitchcock, tout est millimétré, mais cette construction subtile en surface ne doit pas dissimuler la profondeur de l'entreprise.

Katalin Por ne propose pas une énième analyse de la « Lubitsch touch ». Elle porte un regard nouveau sur ce malin d'Hollywood, immense cinéaste qui a su apprivoiser le cynisme et le mercantilisme américains - au point de diriger pendant un an et demi la Paramount - pour améliorer la comédie, inventer son propre langage cinématographique et léguer au 7e art quelques chefs-d'œuvre.

 

Katalin Por
Lubitsch à Hollywood
CNRS Éditions
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 23 € ; 232 p.
ISBN: 9782271089038

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