Pour la fée des couleurs Kitty Crowther, on aimerait inventer un nom pour le blond cendré de ses cheveux et le noisette mordoré de ses yeux. On ne trouve pas, alors on l'écoute parler dans ce bureau des éditions Pastel à Bruxelles qui fleure bon le spéculoos, le thé et la chaleur humaine. Dès l'évocation de ses premières années, on comprend l'étrange émerveillement et la vérité poétique si propre à l'enfance qui signe toute son œuvre. Près de trente albums à ce jour.

Au commencement étaient les pays d'origine de ses parents. Suède pour la mère, Angleterre pour le père. Deux pays majeurs pour les livres pour enfants. Côté littérature nordique, Kitty Crowther se dit fascinée par son « versant païen et son folklore ». La cavale, le roman qu'elle vient d'illustrer a justement pour auteur un Suédois, Ulf Stark. Il raconte la fugue d'un petit-fils et de son grand-père dans la Maison de la falaise où l'aïeul a passé sa vie avec sa femme dont il retrouve l'âme en mangeant sa confiture d'airelles.

« La source de l'imaginaire »

Mystère, esprit de liberté, nature, mais aussi disparition et deuil, voilà de quoi inspirer Kitty Crowther et sa palette. Elle qui dessine comme personne les îles solitaires, les grands sapins sombres (dont le vert foncé ne la « lasse jamais »), et surtout, la lumière du Nord, unique, féerique en diable. Côté Albion, quand Kitty parle de son père, la petite lumière qui brûle au fond de l'œil se ravive encore. « Un conteur né, un grand inventeur de bobards avec qui on jouait toujours à faire semblant de croire ». La grand-mère Dorothy, « qui portait des pantalons et fumait deux paquets de clopes par jour », lui lisait du Beatrix Potter, à elle la petite fille malentendante jusqu'à ses six ans. Dorothy posait son doigt sur le mot et lisait. Et Kitty Crowther « entendait en voyant », elle qui a dû apprendre à l'école avec d'autres recours que l'oreille. « J'étais dans un grand vide, une grande solitude, mais dans ma tête j'étais incroyablement bavarde. On était trois ou quatre à tchatcher là-dedans ». Elle se rappelle avoir trouvé un endroit magique, « la source de l'imaginaire ». Une matrice originelle, celle de l'enfance, qui n'a cessé de l'inspirer.

Aujourd'hui, elle invente des histoires, dont elle assure que ce sont « elles qui la choisissent et non l'inverse, des choses qui flottent et qui attendent d'être reçues ». A ses yeux la création est mystérieuse. « C'est comme dans la forêt, on prend le premier sentier, et après, on ne sait plus ». Elle s'intéresse « à l'invisible, à l'essence des choses ». David Lynch qu'elle cite avouait remonter parfois « des gros poissons des abysses ». Elle aussi en remonte, de ces poissons abyssaux, elle ne sait pas ce que c'est, mais « les entend parler ». Comment fait-elle pour mettre autant de puissance d'évocation dans son dessin avec de simples crayons de couleur, un matériau dont elle apprécie la « non-noblesse » ? La réponse fuse sous forme de geste : elle s'empare simplement d'un crayon bleu et dessine un trait en disant « Chaque trait raconte une histoire, c'est comme une broderie ». Pour elle qui aime le vert foncé et le vermillon, « les couleurs émettent des sons ». On connaît la célèbre phrase de Picasso : « Toute ma vie j'ai essayé de dessiner comme un enfant ». Pas de doute, Kitty Crowther a réussi.  

Ulf Stark, Kitty Crowther
La cavale
Ecole des loisirs
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 11.50 euros
ISBN: 9782211301107

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