13 OCTOBRE - ROMAN Japon

Quelque part de nos jours, dans une banlieue bourgeoise d'un pays qui pourrait être le Japon, mais l'on n'en est pas sûr. Et Hitonari Tsuji, bien loin de forcer sur le côté "exotique" de son histoire, préfère brouiller les pistes, comme pour préparer le terrain aux événements extraordinaires (au sens fort) qu'il va nous raconter.

Hitonari Tsuji- Photo TOSHI/SEUIL

Une maison, où vit une famille tout ce qu'il y a de plus banale en apparence. Avec le grand-père, très âgé, qui perd la tête et s'imagine voir un peu partout des fantômes de son passé s'adressant à lui avant de s'évaporer. Même dans le Japon moderne, la présence des esprits (kami) fait en quelque sorte partie du patrimoine commun, beaucoup de Nippons y croient et leur rendent un culte familier.

Dans cette famille, jamais nommée, il y a aussi la bru, qui s'ennuie tellement que son mari va lui offrir un chien. Quant à leurs deux enfants, le garçon a des fréquentations louches dans des groupuscules de nazillons racistes et la fille commence à être tourmentée par l'appel des sens...

Sous des dehors impeccables fermente un terreau favorable à l'irruption du désordre, du scandale. Qui s'incarnent en un superbe jeune homme d'origine étrangère, "basané », que rencontre un jour la mère, et qu'elle invite à la maison. Petit à petit, le jeune homme, jouant de son charme irrésistible, va devenir indispensable au point qu'on lui propose de s'installer à demeure. Le mari, qui endosse parfois le rôle du narrateur, n'est pas vraiment d'accord, mais lui aussi va se laisser convaincre, ensorcelé. Au sens propre.

Car on découvre assez vite la noirceur qui se dissimule derrière la façade avenante du jeune homme : la beauté du diable, en quelque sorte. Il lit dans les pensées les plus intimes de chacune de ses victimes - le grand-père excepté, le seul qui le perce tout de suite à jour, mais est trop âgé pour organiser une opposition efficace -, va les contraindre à des relations perverses : "brute sans pitié », il impose à la mère des rapports sexuels sadomaso dont elle ne peut bientôt plus se passer ; "barbare », il séduit la fille qui ne demande que ça ; "succube gélatineux » au sexe incertain, il se glisse dans le lit du mari, qu'il enserre dans ses tentacules ; "ver de terre », il propose au fils, dans un remake de pacte faustien, de couvrir les "ratonnades" que celui-ci mène en bande contre des "basanés », des métèques comme les diables.

Tout au long du livre, le lecteur est promené entre la "réalité" du récit et le "rêve éveillé" où semblent évoluer les protagonistes. Hitonari, Japonais de Paris, lauréat du prix Femina étranger 1999 pour Le bouddha blanc (Mercure de France), est un écrivain à l'imaginaire singulier, dont aucun roman ne ressemble aux précédents. Ici, il ose une espèce d'allégorie qui flirte avec le fantastique, dont la morale est claire et cruelle : en chacun de nous sommeillent des pulsions, des désirs inavouables, qu'un diable, surtout s'il est séduisant, peut à tout instant réveiller. Comment, dans une société sans Dieu(x), lui résister ?

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