Tribune

“[…] A quelles conditions la citoyenneté peut-elle être étendue encore, et adaptée aux défis contemporains ? Si la citoyenneté est d’abord un droit, ou un ensemble de droits, il faut envisager une réponse qui tient compte de la capacité de chacun à bénéficier de ces droits. Une belle réponse est proposée par le prix Nobel d’économie Amartya Sen lorsqu’il emploie le concept de « capabilities », la capacité individuelle à se construire, à maîtriser son destin, son expérience. Il faut développer les « capabilities ». Et cela peut passer par la mise à la disposition de chacun de ressources permettant précisément de développer ces « capabilities ». L’éducation, l’accès au savoir, à la connaissance sont ici évidemment primordiaux, et je pense que c’est une de vos raisons d’être : les bibliothèques constituent une clé d’entrée privilégiée dans cet accès, à partir du moment où elles sont non pas un musée ou un conservatoire de l’écrit, mais le lieu où s’effectue la transmission du savoir et de la pensée. Ce qui passe peut-être par une accélération de la mutation de leurs activités. Pour moi, la caricature du vieux bibliothécaire, qui aime ses livres et déteste être dérangé par les lecteurs, est totalement périmée, nous sommes entrés dans un univers où les bibliothèques aident chacun à se diriger dans le maquis des ressources disponibles, accueillent, conseillent, aident, pilotent les usagers.

La bibliothèque est citoyenne, aujourd’hui, ce qui veut dire qu’elle contribue à deux choses. D’une part, elle contribue à rendre chaque citoyen plus actif et plus conscient, elle élève la connaissance et de là la capacité d’action de chacun, elle contribue, dans le vocabulaire de Amartya Sen, à forger les « capabilities ». Et d’autre part, elle contribue à le faire dans un esprit citoyen, en veillant à faire en sorte que chacun, et pas seulement certaines parties de la population, puisse accéder aux services qu’elle offre. A accéder à l’information sur une base égalitaire. A apprendre à mieux la décrypter sur une même base. T. S. Marshall, que j’évoquais au début de cette conférence, ne se contente pas d’évoquer les droits successifs qui ont façonné le concept et la réalité de la citoyenneté, il évoque aussi les institutions qui les incarnent : je pense que les bibliothèques font partie de ces institutions, et qu’elles apportent une contribution utile pour bien des dimensions de la citoyenneté, qu’il s’agisse des droits civils et de la capacité de les exercer - la liberté de conscience est d’autant mieux assise que les citoyens ont accès à la lecture -, des droits politiques - ce sont de meilleurs électeurs si leur niveau d’éducation, de connaissance et d’information s’élève -, des droits sociaux ou des droits culturels.?

Michel Wieviorka est aussi administrateur da la Fondation Maison des sciences de l’homme.

11.10 2013

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