TRIBUNE

La boîte noire du budget-temps de lecture

La boîte noire du budget-temps de lecture

Par Philippe Chantepie, chargé de mission stratégie au secrétariat général du ministère de la Culture et enseignant à l'Ecole polytechnique.

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avec Créé le 15.04.2015 à 19h12

L'emploi du temps se mesure mal, d'autant qu'on recourt à la mémoire. Sait-on citer instantanément les cinq derniers livres ou films lus et vus ? Alors, nos minutes de lecture...

La lecture est l'inconnue de l'industrie littéraire : son temps, sa nature, sa compréhension, sa mémoire, ses effets sont matières d'éducation, questions philosophiques et littéraires. La diminution de la lecture pourrait être l'enjeu de politiques à la hauteur du défi de civilisation qu'elle soulève, tant elle est inédite, générationnelle, peu réversible, faite de transmissions sociales et principalement de mère à fille.

Le phénomène est global. En France, 21 minutes de moins par semaine selon GFK, 18 minutes par jour selon les enquêtes Emploi du temps de l'Insee depuis 1986. C'est peu selon la vitesse de lecture, la pagination moyenne, la difficulté du texte. C'est beaucoup en fonction du nombre de livres lus par an. C'est alarmant si la baisse s'observe parmi les populations peu lectrices - qu'on songe qu'un ouvrier sur deux n'a pas lu un livre au cours de l'année passée. C'est préjudiciable si la part des "gros lecteurs" continue de s'affaisser. C'est ennuyeux parce que les femmes lisent moins aussi et transmettent moins la lecture. C'est indifférent si la presse quotidienne concentre la baisse. C'est insignifiant au regard de l'illettrisme des pays industrialisés qui concerne 10 à 20 % de la population.

On se rassure : la baisse pluridécennale des lecteurs et du temps de lecture n'est toujours pas corrélable avec le chiffre d'affaires de l'édition, la diversité des titres ou les records de best-sellers. Illettrisme, lectorat, pratiques de lecture, temps de lecture et économie de l'édition restent enfermés dans une boîte noire. Mais l'attention au temps de lecture rouvre cette boîte. Ce temps raréfié, devenu indicateur des stratégies de transition à l'offre numérique, affecte lectures physiques et numériques. Il est au coeur de l'économie de l'attention, en concurrence avec le temps de cerveau disponible aux médias, mesuré pour la télévision, la radio, l'Internet et... le jeu vidéo, grand gagnant de la libération des temps de travail, ménager et physiologique.

Dans l'ordre de l'économie de l'attention, parmi les activités de loisir, vidéo et jeu vidéo sont les plus puissants concurrents de la lecture, occupant temps de loisirs continus et interstitiels. Dans l'économie d'abondance, l'édition et le livre devenant médias, le temps de lecture comme durée est capital. La baisse de ce capital d'attention rappelle que la non-lecture est à un clic, car pour les acteurs du numérique le temps de lecture est celui du clic transformable en publicité. Qu'à un clic il y a un risque de non-culture rappellera, peut-être, l'enjeu des lectures. "

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