A chaque nouveau livre, Michel Houellebecq semble se prêter à un cours de droit de l’édition. Les Particules élémentaires avaient déclenché l’ire judiciaire d’un fameux camping, brocardé comme oscillant entre nostalgie hippie et new age, et dont le nom n’avait pas été changé par le romancier. Plateforme a donné lieu à une procédure de la part d’une ligue de vertu (qui avait saisi le tribunal de Carpentras) pour message à caractère pornographique. Les propos tenus dans Lire à l’occasion de la parution du même ouvrage avaient donné lieu à une attaque de la part d’institutions musulmanes et d’autre part de la Ligue des droits de l’homme — l’auteur de ces lignes, qui assurait la défense de l’écrivain, en garde un souvenir marquant. La Carte et le territoire n’échappe pas à la règle. Deux fronts sont apparus à peine le livre sorti. Des exégètes aux lectures variées ont repéré un recopiage à la ligne de trois notices de Wikipedia, encyclopédie en ligne qui n’est citée qu’à propos de la fiche biographique de Jean-Pierre Pernaut consultée par le héros. En droit, l’affaire ne devrait guère sortir des gazettes littéraires et ne jamais rejoindre les colonnes de celle du Palais : les rédacteurs de Wikipedia acceptent les conditions suivantes : « Cette licence autorise chacun à créer, copier, modifier et distribuer le contenu de Wikipedia. (…) tout texte apporté à Wikipedia peut être modifié et redistribué sans avertissement par n’importe qui, y compris de façon marchande. » En clair, Wikipedia diffère d’autres mécanismes reposant sur le principe du « copyleft » qui sont tous des modèles intelligents, respectueux des droits des uns et des autres, mais bâtis sur une utilisation fine de la propriété intellectuelle et non sur un déni de celle-ci. Le meilleur exemple reste Linux, lancé par le Finlandais Linus Torvalds. Celui-ci avait pris l’initiative, il y a déjà une vingtaine d’années, de laisser à disposition de chacun le code-source qu’il avait développé. Les principes de base de Linux sont simples (et généreux) : liberté « d’exécuter » le programme pour tous les usages, liberté d’étudier le programme et de l’adapter à ses propres besoins, liberté de redistribuer des copies, liberté d’améliorer le programme et de publier ces améliorations pour en faire profiter tout un chacun. S’appuyant sur ce « logiciel libre », d’autres trublions ont perfectionné l’outil qui a ainsi été adopté par des nombreux utilisateurs, et en particulier par des entreprises, comme par l’administration française. Et ce sans compter les centaines d’autres licences de même type proposées pour des logiciels en tout genre ou des publications. Devant l’accroissement du phénomène, certains ont été prompts à évoquer un « copyleft », voire une gauche d’auteur, par opposition aux traditionnels copyright et droit d’auteur. Mais ne nous y trompons pas : il s’agit bien, dans les exemples cités, d’une forme de licence, et non d’un abandon pur et simple des mécanismes de la propriété intellectuelle. Le contrat de licence prévoit en toutes lettres certaines restrictions d’utilisation, comme l’interdiction de procéder à tel ou tel type de modification ; ou encore de battre monnaie à partir du logiciel obtenu gracieusement, etc. Rien de tel avec Wikipedia, que Houellebecq peut donc plagier dans un but commercialo-littéraire en toute liberté. L’autre affaire, qui n’a, pour l’heure, pas encore abouti au prétoire, concerne l’appropriation du titre. En 1999, Michel Levy, frère de la fondatrice de l’Association des amis de Michel Houellebecq, a auto-édité un ouvrage intitulé La Carte et le territoire . Un dépôt à la BNF en atteste. Flammarion a répondu   que « le titre, association de deux mots de langue courante, n'est pas original au sens du droit d'auteur et ne peut donc recevoir de protection juridique ». Las, le droit en la matière est plus complexe. Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) consacre son article L. 112-4 aux titres d'œuvres. Il dispose que « le titre d'une œuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'œuvre elle-même ». Cependant, l'appréciation de l'originalité d'un titre demeure une entreprise fort incertaine. L’examen de la jurisprudence laisse perplexes tous les spécialistes du droit d’auteur. Celle-ci a jugé originaux des titres en apparence très banals. En revanche, l’originalité — et donc la protection par la propriété littéraire et artistique — a été déniée par le même Tribunal de grande instance de Paris, le 15 juin 1972, à Doucement les basses ou encore, le 27 mai 1982, à Tueurs de flics . Un « garde-fou » juridique est cependant prévu par le CPI. Quand bien même un titre ne serait pas protégé par le droit d’auteur — que cette protection lui soit déniée pour manque d’originalité ou qu’il soit tombé dans le domaine public —, il ne reste pas sans défense. Il peut en effet bénéficier des règles de la concurrence déloyale. L'article L. 112-4 du CPI, pris en son second alinéa, lui accorde expressément cette protection : « Nul ne peut, même si l'œuvre n'est plus protégée dans les termes des articles L. 123-1 à L. 123-3 (c'est-à-dire si l'œuvre est tombée dans le domaine public), utiliser ce titre pour individualiser une œuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion ». Il s’agit là d’éviter les utilisations trompeuses de titres non protégés par le droit d’auteur. Toutefois, pour que soit retenu le risque de confusion, la loi semble avoir formulé l'exigence que les deux œuvres appartiennent au même genre. Mais le terme « genre » est à entendre dans une acception large puisqu'un film et un livre peuvent appartenir au même genre, au regard de la jurisprudence pérenne. Michel Lévy versus Michel Houellebecq pourrait donc s’avérer un match plus haletant que la réponse lapidaire de l’éditeur du romancier à succès.

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