29 MARS - SOCIOLOGIE France

Hier, le people, c'était les gens. Aujourd'hui, c'est ce qui n'en est plus. Cela ne va pas faire plaisir à Jean-Luc Mélenchon, mais c'est ainsi. Notre régime médiatique impose des consommations importantes d'excellence et de singularité. C'est, en tout cas, le sujet décortiqué par Nathalie Heinich.

Nathalie Heinich- Photo DR/GALLIMARD

Cette sociologue de l'art a mis près de trente ans pour mener à bien ce travail qui s'appuie sur des études, des articles de journaux et des entretiens. Résultat, le livre fourmille d'exemples, souvent tirés de l'actualité encore proche. Ce sont ces faits qui finissent par révéler le procédé.

Il y a encore un siècle, "pour voir untel, il fallait rencontrer untel". Le système de reproductibilité technique des images, au début par la photographie, aujourd'hui via Internet, a tout fait basculer. Tout le monde est désormais partout, personne n'est nulle part. "Ce n'est pas la vedette qui est à l'origine de la multiplication des images, mais ce sont ses images qui en font une vedette." Bref, plus vous êtes vu, plus vous existez, socialement parlant. Le manque de visibilité est même a contrario envisagé comme une sorte de pauvreté, un manque de "quantité sociale", pour reprendre la définition que le sociologue Gabriel Tarde donnait de la célébrité au début du XXe siècle.

Dans cet ouvrage qui ouvre quantité de pistes de réflexion, Nathalie Heinich considère que la démocratie profite plutôt de cette visibilité qu'elle analyse comme un fait social total : "La visibilité est une réalité mais aussi une valeur, au sens où elle constitue un principe d'évaluation des êtres auxquels elle est appliquée." Mais cette visibilité peut aussi se transformer en antivaleur, une société du spectacle où le seul but d'être connu est de le rester.

"De l'excellence sans singularité à la singularité sans excellence", la sociologue signale le mouvement de balancier de la célébrité qui peut être vue comme une dilution de l'individu. L' Einstein célèbre n'avait rien à voir avec la relativité puisque la plupart des gens n'y comprenaient rien ! De même l'homme politique, l'acteur, le musicien ne sont plus considérés pour ce qu'ils sont, mais pour ce qu'ils paraissent. C'est l'apologue de la lettre volée de Poe, tellement visible que personne ne pense à la regarder.

Vouloir être connu de ceux qu'on ne connaît pas n'est pas la panacée, heureusement. Nathalie Heinich rappelle ces écrivains qui ont été connus sans être vus : Gracq et Blanchot en France, Pynchon et Salinger aux Etats-Unis. De même, la démocratisation de la visibilité via Internet revient à la multiplication des invisibles. Car si tout devient visible, rien ne l'est plus. C'est tout le paradoxe de la visibilité ici examiné dans toutes ses composantes.

Désormais, on finit même par ne plus savoir pourquoi quelqu'un est connu. L'important, c'est qu'il le soit. C'est toute la perversité de la règle ici mise à nu. Andy Warhol disait qu'il était surtout connu pour sa notoriété. Ce n'était pas qu'un trait d'humour...

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