17 AOÛT - ROMAN France

La découverte par un écrivain de ses archives familiales, souvent à l'occasion d'un deuil, peut jouer un rôle moteur dans l'écriture d'un de ses livres. C'est ce qui est arrivé, apparemment, à Elise Fontenaille, qu'on voit mal - même si elle se plaît, d'un roman à l'autre, à surprendre son lecteur par la variété de son inspiration - s'intéresser à des histoires de missionnaires jésuites vivant à la cour de Chine, au XVIIIe siècle ! Le déclic, c'est quand elle a appris qu'un certain Léon-Ignace Mangin, le propre frère de son arrière-grand-père, l'illustre général Charles Mangin, fut un missionnaire jésuite, mort en martyr en Chine en 1900. Et même canonisé plus tard par Jean-Paul II ! Il faudra bien un jour qu'Elise Fontenaille consacre à sa saga familiale, qu'on devine peu banale, un autre roman. En attendant, elle a imaginé, partant de cette coïncidence ténue, un délicat roman en forme de conte oriental, de rêverie, dont le narrateur, justement, est un certain Artus de Leys, s. j.

Comme d'autres pères jésuites avant lui depuis Matteo Ricci, et alors que leur ordre n' était plus en odeur de sainteté en Occident, Artus a été invité à Pékin par l'empereur Kangxi, puissant monarque contemporain (et correspondant) de Louis XIV, fin lettré de surcroît. Il vit à sa cour avec le titre de mandarin, chargé de participer à l'instruction des jeunes princes de la dynastie, les Qing, parmi lesquels sera choisi son successeur. Alors pourquoi pas le beau Jade, du clan du Saule, l'élève préféré d'Artus - et bientôt beaucoup plus que cela -, avec qui il aime tant à réciter les poèmes du grand Li-Po ? Jade, comme son père "Elévation littéraire" et la majorité de leurs sujets, est un adepte de Confucius, mais ouvert et curieux des autres religions, dont celle du hueï hueï, l'étranger. Alors, même s'il peine à croire à cette histoire de Fils de Dieu crucifié puis ressuscité, il se convertit par amour pour son maître et arbore la croix sur sa poitrine.

Le jésuite devrait être comblé, puisque c'est là une nouvelle réussite de la stratégie du fondateur de son ordre, Ignace de Loyola : convertir les élites afin de ramener au bercail les âmes de leurs peuples. Mais il découvre que le jeune homme l'a fait plus pour lui plaire, voire par provocation, que par foi sincère. Et d'autant que Jade est de plus en plus dépendant de l'opium, "la religion du peuple", qui annihile toute volonté, procure des plaisirs aussi artificiels que temporaires et, surtout, ravageurs. Au fil de leurs conversations en tirant sur le bambou, pratique que les Chinois appellent "chasser le dragon", Artus voit son ami se dessécher, renoncer à la vie. Il sait qu'il se perdra et que leur palais de mémoire commun, la fumerie d'opium, ne le protégera pas des foudres du nouvel empereur, bien moins tolérant que Kangxi. Un roman original, tout en nuances, un petit bijou qu'il ne faudrait pas que les musts de la rentrée éclipsent.

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