8 FÉVRIER - ROMAN Etats-Unis

Ecriture blanche, zéro psychologie, un grand sens du détail d'apparence anodin qui va finalement faire sens..., l'Américaine Lily Tuck offre un nouvel aperçu de son singulier talent de romancière avec ce deuxième roman traduit chez Jacqueline Chambon après le très remarqué Paraguay paru en 2010 et lauréat du National Book Award.

Lily Tuck- Photo MARION ETYTLINGER/JACQUELINE CHAMBON

Siam regarde un morceau d'histoire par le petit bout de la lorgnette, à travers les yeux d'une jeune mariée américaine débarquant à Bangkok, pays allié des Américains, en 1967 dans une guerre du Vietnam qui s'installe. L'héroïne de Paraguay était une Irlandaise rousse, la Claire de Siam, 25 ans, vient de la côte Est. C'est un parfait modèle de wasp, blondeur à la Grace Kelly, père professeur de lettres classiques à Harvard. Quand elle arrive en Thaïlande le 9 mars 1967, dans ce coin du monde parfaitement exotique pour elle, elle vient juste d'épouser James, un militaire chargé de superviser la construction de pistes d'atterrissage dans le nord-est du pays. Tandis que le Premier ministre thaïlandais annonce officiellement à son peuple que l'armée américaine bombarde le Nord-Vietnam à partir de ses bases en Thaïlande.

Claire s'installe dans une vie assistée et confortable d'épouse d'officiers expatriés. Mais elle fait de réels efforts pour comprendre une culture, des moeurs et des croyances qui sont très loin de ses propres références : elle emprunte des livres d'histoire à la bibliothèque, tente d'apprendre grâce à des cours quotidiens avec une certaine Miss Pat une langue compliquée où le même mot peut avoir quatre sens différents et opposés selon la façon dont il est prononcé.

Souvent livrée à elle-même, elle développe surtout un intérêt un peu irrationnel pour Jim Thompson, "le roi de la soie thaï", un entrepreneur américain qu'elle n'a rencontré qu'une seule fois, lors d'une soirée mondaine organisée dans la belle maison-musée remplie d'oeuvres d'art d'Asie du Sud-Est du millionnaire, dont la courtoisie et le raffinement ont fait très forte impression sur la jeune femme. Quelques jours plus tard, l'Américain a disparu en Malaisie où il séjournait chez des amis, et Claire se met à suivre l'affaire avec passion...

Il y a dans ce roman un fascinant contraste entre l'opacité de la réalité dont il rend compte et la simplicité limpide de l'écriture de Lily Tuck. Les mots sont impeccablement descriptifs et pourtant tout, y compris le moindre événement du quotidien, reste empreint d'une irréductible étrangeté, d'un insolvable mystère. Quelles sont les relations entre les trois domestiques au service du couple d'expatriés ? Que fait exactement James quand il part vers Nakhon Phanom à la frontière du Laos où il ne veut pas emmener sa femme ? Claire a beau fouiller dans les affaires de son mari, elle ne trouve rien... Qui était vraiment le directeur de "la Thai silk company » ? A-t-il été victime d'un enlèvement crapuleux, d'un complot communiste ? Pourtant, Siam n'est pas un polar. Lily Tuck n'élucide rien. Laisse toutes les hypothèses ouvertes. Comme l'héroïne, on marche sans trop savoir où on va, dans la touffeur de la ville, on prend des bateaux-taxis sur les canaux où flottent ordures et chiens crevés, dans le sillage de Claire, l'étrangère, la "falang ». Occidentale parachutée, la jeune femme s'acclimate aussi mal que les rosiers qu'elle a plantés dans le jardin aux côtés des frangipaniers et des bougainvilliers et qui peinent à fleurir. Et le monde autour d'elle demeure aussi impénétrable que, pour l'armée américaine, le coeur de la jungle asiatique.

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