7 janvier > Roman France

"Idyllique Royaume des Morts", "Irréversibles Ruptures du Moi", "Inimaginables Rémissions des Maux", "Irrévocables Refus de la Mémoire"… les trois lettres - IRM - se révèlent pour L., la narratrice du nouveau livre de Linda Lê, Roman, être bien moins poétiques : on l’a dépêchée d’urgence à l’hôpital Sainte-Anne pour un examen. Victime d’une rupture d’anévrisme, l’écrivaine venait de faire une présentation aux libraires de son dernier ouvrage, "un bref essai sur des amours occultées". Elle y évoquait"trois clandestines qui avaient eu une liaison passionnée avec des hommes qu’elles admiraient tout en étant révoltées par leur désinvolture, leur légèreté et finalement leur peu d’amour pour elles " : Taos Amrouche, Catherine Pozzi, Camille Claudel, amantes respectivement de Jean Giono, de Paul Valéry et de Rodin. L., foudroyée par un AVC comme le personnage de l’un de ses précédents romans, mais ici épargnée par la Faucheuse, recouvre sa mémoire et ses esprits. Lui revient la ronde de ses obsessions : l’amour absolu, la difficulté d’être, la littérature comme consolation et salut. Mais bien plus entêtante que les mots, la mort qu’elle a frôlée lui rappelle qu’elle est sa muette compagne depuis toujours.

La mort qui avait pris son frère cadet, dès sa naissance deux ans après celle de L., et allait projeter son ombre sur le restant des jours de la sœur "orpheline". L’Absent serait à jamais l’alter ego idéal. "Absurdes théories sur l’amour", lui reproche sans cesse son ami DAG (sic), selon lequel "en cherchant toujours en l’autre un frère qui aurait remplacé le mort, elle ne donnait aucune chance à celui qui, d’avance, était obligé d’endosser le rôle du jumeau incestueux". La mort réconcilie avec la vie, elle vous rend plus aiguë la réelle présence d’autrui. L. fait un point sur ce bizarre triangle amoureux qu’elle forme avec B., compagnon fidèle, homme mûr, à la fois artiste et rationaliste, et avec Roman, jeune écorché vif, enfant adoptif, incarnation du frère perdu. Roman, fragile, et par cette fragilité même incarne la parfaite âme sœur, mais à la mélancolie dévorante.

Linda Lê joue ici, comme souvent, avec les références textuelles (Roman est né à Montevideo comme Lautréamont) mais jamais elle n’aura été si nue dans sa prose. Il y a dans ce roman d’une grande sobriété une manière d’autofiction. S. J. R.

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