7 septembre > Roman Inde > Salman Rushdie

Pour une arrivée chez Actes Sud, c’est un débarquement en fanfare. Il est vrai que Salman Rushdie n’est pas un écrivain banal. De son Bombay natal (en 1947), il a conservé, outre une culture profonde et un attachement viscéral - l’un des héros principaux du livre, M. Geronimo le jardinier, est né lui aussi dans la mégalopole et y effectuera un dernier voyage assez sinistre -, un sens de la démesure, un goût pour le foisonnement des lieux, des intrigues, des personnages, ainsi qu’une appétence pour les grosses machines romanesques, qu’il a transmis à nombre de ses confrères et compatriotes tels Vikram Seth ou Rohinton Mistry.

Rushdie est avant tout un conteur à l’imagination torrentielle, incontrôlable, c’est à la fois son génie et sa faiblesse. Il est très marqué par la littérature orientale, notamment les Mille et une nuits (soit 2 ans, 8 mois et 28 nuits) qui ont influencé une grande partie de son œuvre : Haroun et la mer des histoires, Les versets sataniques ou Shalimar le clown. Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, roman particulièrement difficile à synthétiser, s’inscrit dans cette veine.

Tout commence en 1195, par la liaison entre le philosophe et médecin Ibn Rushd, que nous appelons Averroès, en disgrâce et en exil chez les Juifs - la plupart des héros du livre sont juifs - et Dunia, la Princesse de la Foudre, une jinnia (féminin de jinn) grand manitou dans sa partie. A ce moment-là, en plus de ses soucis politiques, qui s’arrangeront, il est en butte aux attaques d’un certain Ghazali, un théologien rigoriste, et de ses disciples. "Shéhérazade à l’envers", Ibn Rushd raconte des histoires à Dunia, et lui fait des tas d’enfants (sans lobes d’oreilles), avant de la plaquer. Leurs descendants, tous des jinns, "blancs" ou "noirs" selon qu’ils sont bons ou mauvais, seront appelés Duniazat, "parce que les appeler Rushdi reviendrait à les envoyer dans l’Histoire avec une marque sur le front", écrit Rushdie, lequel possède aussi un robuste sens de l’humour, volontiers caustique.

Huit siècles et quelques après, le monde et New York notamment sont victimes d’une espèce d’apocalypse, d’une "ère de l’irrationnel" et d’"étrangetés", qui vont durer "mille nuits plus une". Parmi tous les hommes, M. Geronimo, le fil rouge de cette histoire, Ella Elfenbein, son épouse, Alexandra Bliss, sa patronne, Jimmy Kapoor, le graphiste indien du Queens créateur de Natraj Hero, lequel prend vie, ou encore Storm Doe, le bébé indien trouvé qui détecte et dénonce les corrompus, vont se voir pris dans ce tourbillon.

Mais tout ça, conclut Rushdie à la fin de son livre, c’était avant. Aujourd’hui, les gentils ont triomphé des méchants, l’humanité vit heureuse et en paix, et "la peur n’a finalement pas conduit les gens dans les bras de Dieu". La morale de la fable se veut, finalement, optimiste, pacifiste, positive. Utopique. Jean-Claude Perrier

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