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La haine et la loi

La haine et la loi

L'antisémitisme et plus globalement la parole raciste prospèrent, notamment sur les réseaux sociaux. La Loi est déjà très ferme pour lutter contre ces fléaux. Mais d'autres débats s'ouvrent avec les réseaux sociaux, comme la levée de l'anonymat sur Internet.

La loi peut-elle endiguer la haine, en particulier quand celle-ci prend appui sur la liberté d'expression  ?

Des portraits de Simone Veil recouverts de croix gammées, le mot « Juden » tagué sur un magasin Bagelstein, deux arbres plantés à la mémoire d’Ilan Halimi sciés, Alain Finkielkraut insulté, des tombes profanées… Le bilan, non exhaustif, en quelques jours, est effrayant. 

Précisons que tout cela traduit une hausse de 74 %, l’an dernier, des actes antisémites, soit 541 agissements en un an, allant des insultes aux tags, des menaces aux dégradations de biens, des violences aux agressions, en allant jusqu’aux homicides. 

Selon une étude de l’IFOP, 36 % des sympathisants du Rassemblement national croient à un « complot sioniste à l’échelle mondiale ».

Mais il existe surtout une cyberberhaine, signée par de courageux anonymes, qui inonde le réseaux sociaux et en particulier Twitter, ce réseau social sur lequel la terrifiante ligue du Lol a œuvré durant des années.

La France républicaine de 2019 est ainsi défiée par les discours et les propos qu’elle croyait réservés aux combattants en déroute de l’État islamique ou du lointain Klu-Klux Klan.

Agravation(s)

Emmanuel Macron s'est prononcé clairement au dîner du CRIF, en février, et l'a admis : « La situation s’est encore aggravée ces dernières semaines. Notre pays – comme d’ailleurs l’ensemble de l’Europe et la quasi-totalité des démocraties occidentales – est confronté à une résurgence de l’antisémitisme sans doute inédite depuis la seconde guerre mondiale ». 

Le Président de la République y a annoncé la dissolution de groupuscules d’extrême droite (notamment Bastion social, Blood and Honour, et Combat 18) ainsi qu’un « audit des établissements scolaires » qui sont désaffectés par les élèves juifs en raison du climat haineux qui y règne. 

Il a encore promis « que la France mettra en œuvre la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance Internationale pour la mémoire de la Shoah. » Or, ce faux masque est déjà sanctionné s’il est synonyme - et c’est souvent le cas – d’antisémitisme et non de critique citoyenne de la politique de Benjamin Netanyahou.

L’arsenal législatif est en effet plus que suffisant pour éviter toute dérive. La justice dispose en effetd’instruments nombreux pour condamner les essayistes, les ex-humoristes ou les « simples » internautes. L’article 32 loi du 29 juillet 1881 sanctionne la diffamation envers « une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». 

Quant à l’article 24 de la même loi, il vise les provocations « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

Sans oublier le régime propre au révisionnisme, l'apologie des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou crimes et délits de collaboration avec l'ennemi, est aussi visée par la loi de 1881.

Par ailleurs, la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse dispose en son article 2 que celles-ci « ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion de nature (…) à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques ». L’article 13 de la même loi interdit l’importation de livres contraires à l’article 2 et l’exportation de semblables publications qui auraient été éditées en France…

Depuis une douzaine d’année, différentes lois ont aussi aggravé les peines relatives aux « infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe ».

Sans oublier la pénalisation du révisionnisme, de l’apologie des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité... Et la loi du 30 décembre 2004 qui est venue réprimer les propos homophobes ou sexistes.

Jurisprudence ferme

En matière de livres et d’écrivains, la jurisprudence est ferme. Si ces catégories ne sont pas contenues dans la loi, les tribunaux font souvent la distinction entre fiction et essai, entre écrivain et journaliste, etc., pour apprécier la teneur de certains propos. Ainsi, pour déterminer si un propos est ou non raciste, les juges peuvent chercher si l’expression en cause traduit la pensée de son auteur.

Cela a été par exemple le cas, le 10 avril 2014, lorsque la « chambre de la presse » - la 17ème correctionnelle - du Tribunal de grande instance de Paris a condamné un Renaud Camus, écrivain connu pour une durable mais certaine dérive, à la suite de propos tenus lors des « Assises internationales sur l’islamisation de nos pays ». Les juges, saisis par une association de lutte contre le racisme, ont examiné les termes de « colonisateurs », de responsables de « vols » et de « rackets dans les écoles », et autres amalgames. Ils ont surtout retenu que « ces propos émanent d‘un écrivain se disant particulièrement soucieux du choix des mots qui traduisent exactement sa pensée lorsqu’il s’exprime » ; et de préciser que « ils ont fait l’objet d’une lecture lors de la réunion publique incriminée, l’écrivain lisant une allocution qu’il avait auparavant rédigée, ne donnant lieu à aucune improvisation ». 

De même, le 13 novembre 2013, le Président du Tribunal de grande instance de Bobigny a interdit en référé la vente des ouvrages intitulés Anthologie des propos contre les juifs, le judaïsme et le sionisme, ordonné le retrait de nombreux passages du livre Le Salut par les juifs de Léon Bloy, « édités » par Alain Soral.

La liberté d’expression – un principe fondamental que nous tenons de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, texte toujours en vigueur en droit français - ne permet pas de justifier ce qui est un délit et non une opinion. 

Le 19 février 2019, la Cour de cassation a encore souligné, à propos du sinistre et persistant Alain Soral, qu’« en matière d'injures à raison de l'origine raciale ou religieuse supposée (…), il n'existe pas d'excuse de bonne foi » ; et les juges d’ajouter que « les propos constitutifs d’injures visant la personne concernée en raison de son origine ou de son orientation sexuelle, dont la répression est une restriction nécessaire à la liberté d'expression dans une société démocratique, ne relèvent pas de la libre critique, participant d'un débat d'intérêt général ».

E-commerce et GAFA

Les arguments du droit américain, partisan d’une liberté d’expression absolue, et de la supposée complexité juridique liée à la globalisation des réseaux sociaux, ne sont ni tenables ni plaidables. 

De fait, en 2013, EBay a fini par retirer de ses catalogues des dizaines d’effets et de « souvenirs » liés à l’holocauste (y compris un vêtement porté par un détenu du camp d’extermination d’Auschwitz). Le Bon Coin en a fait de même, début 2018, alors que s’y vendaient brassards nazis et étoiles jaunes.

Rappelons que la loi française n’interdit pas expressément la vente d’objets nazis, mais que l’article R. 6451 du Code pénal sanctionne le « port ou l’exhibition d’uniformes, insignes ou emblèmes rappelant ceux d’organisations ou de personnes responsables de crimes contre l’humanité », sauf « pour les besoins d’un film, d’un spectacle ou d’une exposition comportant une évocation historique ». 

Le Chef de l’État s’est déclaré pourtant opposé à la levée de l’anonymat sur internet. Cette position est critiquable. Car cet anonymat conduit à interroger les directions des réseaux sociaux, qui mettent bien du temps à livrer les identités, quand elles daignent le faire. Les réseaux sociaux coopèrent spontanément en matière de pédophilie et de terrorisme. Las, pour le reste, Twitter et consorts ne daignent pas répondre aux autorités qui osent à peine toquer, en vain, à leur porte. 

Saluons la députée Laetitia Avia, en pointe sur cette question, qui estime nécessaire de modifier le droit existant, reposant « essentiellement sur la loi de confiance sur l’économie numérique qui date de 2004, soit avant l’arrivée de Facebook en France », et veut rendre juridiquement responsables les GAFA.

Dans un entretien à L’Express, Édouard Philippe a récemment affirmé que « dans un pays comme le nôtre, qui représente un marché important, les hébergeurs doivent créer les conditions du respect de la loi française. Il faut aussi pouvoir mettre en jeu leur responsabilité s'ils n'arrivent pas à retirer les contenus ». 

Revenons un instant sur Laetitia Avia, pour indiquer qu’elle est la rédactrice de la proposition de loi contre les propos haineux sur internet qui sera déposée en mai prochain. Aux côtés de Karim Amellal, professeur, et de M. Gil Taiëb, vice-président du CRIF, elle a également mené une mission sur « le droit du numérique et des libertés publiques au service de la lutte contre la haine raciste et antisémite sur l'Interne » qui a donné lieu à unjudicieux rapport, remis en septembre 2018 au premier ministre Édouard Philippe.

Les rédacteurs y annoncent la nécessité de « Lutter contre les lieux où prospèrent l’antisémitisme et une parole haineuse décomplexée » (Internet et les réseaux sociaux) ».
Le Pen Club français, que je préside, a publié une résolution, en février dernier, demandant « au gouvernement de sortir les délits racistes et antisémites de la loi de 1881 défendant la liberté d’expression ». Et de les insérer dans le Code pénal. Cette mesure ne changerait rien en droit, mais tout dans une perspective pédagogique.

Car, pour reprendre le texte de cette résolution, « Nous ne pouvons pas accepter que ceux qui prononcent ou diffusent des paroles racistes bénéficient des avantages dont usent légitimement journalistes et créateurs au nom de la liberté d’expression. » 

Il nous manque encore une volonté politique permettant au parquet de poursuivre et à la police judiciaire d’agir. Commençons donc par utiliser les armes dont nous disposons déjà et que nous n’osons pas brandir en matière d’évasion fiscale comme de discours de haine. Et nous aurons moins à rougir de nos brebis galeuses.
 
 

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