4 janvier > Roman France > Sébastien Rutés

En 1941, quand débute le roman, Paul-Jean Lafarge est juste un type répugnant. Collabo, antisémite, il est resté à Paris, où il dirige La Revue des lettres, consacrée à la poésie, subventionnée par la Propagandastaffel. Il entretient les meilleures relations du monde avec le capitaine Witold Silcher, par ailleurs poète lui-même. Voyeur désœuvré, il passe son temps à espionner la jeune Colette, sa secrétaire. Pervers, ce fils d’un très bourgeois professeur à la Sorbonne, plaqué par sa femme pour un plus séduisant, occupe ses soirées à guetter les allées et venues dans la vespasienne en face de chez lui, fréquentée par toute une faune interlope (notamment Lucien, le prostitué), et note tout sur un carnet.

Puis, bravant le couvre-feu, il sort récupérer les croûtons de pain qu’il a laissés tremper dans l’urine de ces messieurs, et qui font ses tristes délices. C’est comme cela qu’il rencontrera Aimé, un voisin qui partage certains de ses goûts. Ancien bourreau démissionnaire par patriotisme, il aime la pornographie, fréquente les bordels et cultive un potager au cimetière du Montparnasse. Parfois, Lafarge se rend chez Talayah Qholi, l’ex d’un cousin du shah en exil, une mondaine qui reçoit le Tout-Paris. Il y croise entre autres Fournier et Lecomte, calqués sur le couple Marais-Cocteau.

Le destin de Lafarge, ce sinistre personnage, va basculer le 20 novembre, quand il trouve par hasard, cachés dans sa pissotière favorite, un pistolet et deux chargeurs. Il les rapporte chez lui, puis les remet en place. Mais se fait attraper par des résistants, dont Maurice, un jeune communiste, qui préparent l’assassinat d’un officier allemand habitué de l’édicule en tôle verte avec ses huit stalles en fonte. Le rond-de-cuir va se trouver emporté dans la tourmente de l’Histoire, avec Maurice, Colette, Silcher, Lucien, et la Gestapo. Et son comportement, en 1942, ne sera pas celui auquel on aurait pu s’attendre. On n’en dira pas plus.

Avec maestria, Sébastien Rutés compose une espèce de sotie d’une certaine France sous l’Occupation, celle des "intellectuels" collaborateurs, défaitistes, décadents, qui se vautrent dans leur époque comme dans un marécage. C’est drôle, cruel, inspiré de personnages et de faits authentiques. Comme les vespasiennes, qui abritèrent longtemps des amours clandestines. J.-C. P.

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