Avant-portrait

L’œuvre graphique de Ludovic Debeurme est étrange, colorée, organique, symbolique et surtout marquante. Celui-ci vous rejoint au métro Lamarck-Caulaincourt et vous entraîne aussitôt dans une brasserie du quartier où il a ses habitudes. Cheveux ras et barbe fournie, lunettes, notre homme s’apprête à publier son premier roman, Ocean park, où l’on retrouve des échos de ses précédents travaux.

Devant une bavette à l’échalote, Debeurme explique être né à Paris en 1971 d’un père professeur de dessin et peintre, et d’une mère professeure de musique. Les mois de vacances, il les passe en Picardie, dans une maison de pêcheur à moins de dix mètres d’une falaise, décor en « demi-teinte » et « venteux ». Jusqu’à l’âge de 15 ans, le jeune Ludovic ignore la capitale et reste le plus possible dehors avec son seul ami, menant au rythme des marées une vie « d’enfant sauvage ».

Il dessine déjà beaucoup, écrit, pratique la musique, chante, porté par une mère qui l’emmène écouter de l’improvisation et du free-jazz, et par un père qui l’initie à Django Reinhardt et au jazz manouche. Le rock, il tombe dedans à 15 ans lorsqu’il plonge dans le Velvet Underground, Hendrix ou Led Zeppelin, et qu’il pratique la guitare six à sept heures par jour.

Tôt, l’adolescent a eu sous les yeux Reiser, Gébé et les impressionnistes. Il a dévoré Maupassant, Poe et Kafka, mis son nez dans Freud, Lacan et Deleuze. Dès qu’il a su qu’il voulait être dessinateur, il a compris l’importance pour lui de « raconter des histoires ». Trop conceptuelle à ses yeux, la fac d’arts plastiques ne le séduit guère. Il préfère jouer dans la rue, dans des clubs, échanger et partager.

Ludovic Debeurme commence par se faire un book d’illustrateur sans trop savoir où il va. Grâce à Métal hurlant, il a pris de plein fouet Charles Burns ou Robert Crumb et réalisé qu’il y existait une autre manière de dessiner, d’aller vers l’intime et une liberté formelle. Ses premières illustrations - d’abord à la peinture à l’huile puis à l’ordinateur - enrichissent des articles du Monde, des Inrockuptibles et de Télérama tandis qu’il donne des cours de dessin dans l’association que pilote sa mère. Un certain Charles Berberian le repère alors et a la bonne idée de le présenter à Cornélius.

Ecouter son désir.

Cornélius lui donne carte blanche et il signe en 2002 son premier album, Céfalus, qui impose d’emblée son univers et lui vaut de beaux éloges, comme celui de David B. Quand arrive sur la table une tourte aux pommes, l’auteur de Lucille (Futuropolis, 2007, consacré « Essentiel » du Festival d’Angoulême) et de Renée (Futuropolis, 2011) explique qu’il n’a ni horaires ni règles. Qu’il a besoin d’écouter son désir et peut avancer très vite. Au départ, il y a toujours « l’improvisation ». Les premières pages sont déterminantes. Il lui faut attendre le moment où apparaissent ses personnages, où il perçoit leurs voix.

Ludovic Debeurme, qui vient d’illustrer Alcools d’Apollinaire pour Points, ne chôme pas. Il a exposé à l’automne à la galerie Martel, au moment où arrivait en librairie le premier tome de Trois fils (Cornélius) qui en comptera trois. Depuis, il a attaqué le deuxième mais n’a pas encore la fin, juste des directions. Chez Alma éditeur, il a d’abord illustré Au début de François Bégaudeau avant que Jean-Maurice de Montremy ne lui propose judicieusement d’aller vers la fiction.

Des travaux dans son appartement en prévision de la naissance de sa fille, Lou, l’ont un temps détourné de ses pinceaux et lui ont permis de se mettre à la tâche plus facilement que prévu, à l’ordinateur, dans les cafés, s’interrogeant sur les adjectifs et veillant à ce que « chaque mot fasse sens ». Le résultat est ce lancinant Ocean park, saisissante manière de prolonger son imaginaire. Une histoire de deux frères qui, enfants, observaient la mer d’en haut. Une affaire de voyage, de lutte et d’envol. De mer et de forêt, de père et de mère.

Les projets, Debeurme n’en manque pas. Ses prochaines expositions se tiendront en avril à Nantes au Lieu unique, en mai à Cahors, et ensuite au musée du Quai Branly avec Anne & Julien de la revue Hey !. Sans jamais oublier la musique ni Fatherkid, le duo « electroporock moody » qu’il forme avec sa compagne, Fanny Michaëlis - au chant -, où il tient… la guitare !

Alexandre Fillon

Ocean park, Ludovic Debeurme, Alma éditeur, tirage : 2 222 ex., 17 euros, 206 p., ISBN : 978-2-36279-079-9. Sortie : 23 janvier.

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