1er avril > Histoire littéraire France-Belgique

Enfin publiée, soixante-cinq ans après la mort d’André Gide, cette Correspondance aussi volumineuse que majeure vient achever un triptyque unique dans la littérature française. Il y avait le Journal de Gide, l’un des modèles du genre, qui court de 1887 à 1950, et dont l’édition définitive est disponible, en deux tomes, parus en 1996 et 1997 dans la "Bibliothèque de la Pléiade". Il y avait les fameux Cahiers de la Petite Dame : notes pour l’histoire authentique d’André Gide, parus en quatre volumes dans les Cahiers André Gide (Gallimard), avec une préface de Malraux, de 1973 à 1977. Un grand écrivain s’y livrait sans fard, et une intime, privilégiée, livrait en miroir son propre témoignage sur un demi-siècle d’amitié. On a souvent comparé l’entreprise de la mémorialiste à celle d’Eckermann auprès de Goethe.

Voici donc la Correspondance qu’échangèrent les deux amis, de 1899, l’année de leur première rencontre, jusqu’à l’été 1950, quelques mois avant le décès de Gide, à Paris, le 19 février 1951. Plus de 800 lettres conservées, un ensemble d’exception, grâce à un hasard miraculeux. La Petite Dame, telle qu’on l’appelait dans le tout premier cercle gidien - celui-ci étant lui-même surnommé Bipède, ou Bypeed -, alias Maria Van Rysselberghe (1866-1959), née en Belgique dans une famille d’industriels, épouse du peintre postimpressionniste Théo Van Rysselberghe, ne fut pas seulement l’amie de toujours de Gide. Elle était la mère d’Elisabeth Van Rysselberghe, avec qui - histoire improbable étant donné les préférences sexuelles de l’écrivain - il eut une fille, Catherine, en 1923. C’est grâce à celle-ci, disparue en 2013, qui avait hérité à la fois des lettres de son père et de celles de sa grand-mère, et les avait conservées, et selon sa volonté, que cette Correspondance, la dernière des grandes inédites de Gide, est aujourd’hui accessible.

Maria, en dépit de sa culture et de la qualité de son style, ne posait pas à l’écrivain. Sa position est avant tout d’admiration absolue pour l’œuvre de Gide. Non sans faire part de ses avis, souvent pertinents. L’écrivain, qui les sollicitait souvent, l’appelait "Notre-Dame de Bon Conseil" et, reconnaissant, lui offrit le manuscrit des Nourritures terrestres, l’un de ses chefs-d’œuvre. Lorsqu’il s’agit par exemple de mettre au point et de corriger, en 1918, en pleine guerre et en secret, Corydon, le plus sulfureux des livres de Gide, son plaidoyer pour l’homosexualité, publié seulement en 1924, Maria seule pouvait l’aider. C’est dire la confiance absolue entre ces deux êtres qui s’étaient élus. Leurs lettres le disent magnifiquement. Jean-Claude Perrier

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