Suspense des âges farouches. Comme dans Mille hivers, le premier et précédent roman de Renaud de Chaumaray (Le Mot et le Reste, 2023, repris en poche chez Folio), un père et une fille se retrouvent en vase clos le temps du livre. Dans Mille hivers, c'était une île, c'est à présent une grotte. Fabien, le père, au parcours chaotique, a été réparateur de scooters avant de trouver sa voie sur le tard en travaillant sur le site de Lascaux IV, la reproduction de la grotte originelle à une précision de seize pixels par millimètre carré. L'art rupestre le fascine au plus haut point mais Fabien reste condamné aux basses tâches, figé, comme à l'école, par la peur d'échouer au concours de la fonction publique qui lui permettrait d'évoluer. Alors il patine sur place et forge des rêves venus du fond des âges, jusqu'à ce qu'il trouve, avec sa fille Johanna, 23 ans, l'entrée d'une cavité encore inexplorée. Ils piochent et fendent la roche vers la nuit des temps, se glissent dans les entrailles de la terre, rampent dans ses boyaux, sans sécurité ni batterie de secours, en spéléologues suicidaires, jusqu'à la découverte mirifique de pochoirs de mains d'enfants. Ils la tiennent, leur grotte ornée. Le vieux père est en larmes - la grotte portera-t-elle leur nom ? « Le calcaire n'est rien d'autre qu'un amoncellement de défunts, de mollusques et de coquillages pétrifiés il y a des millions d'années. C'est la ronde du temps qui n'en finit jamais, le mâchage permanent des vivants », écrit joliment Renaud de Chaumaray.

Mais Quitter la vallée n'est pas qu'une aventure souterraine sur les traces de Cro-Magnon. En surface, Clémence entame son histoire. Cette mère s'installe avec le petit Tom dans une masure au fond des bois. Le lierre, la mousse, l'écorce composent un décor vivant que ni Jean Giono ni René Frégni ne pourraient renier. Clémence a roulé beaucoup, le regard constamment rivé au rétroviseur. Elle fuit son conjoint, « si rassurant, si dangereux », pour elle comme pour son fils. C'est cet homme qu'elle guette et redoute entre les troncs, la peur au ventre. Jusqu'à ce que Tom disparaisse, la fenêtre de la chambre entrouverte, signe de l'intrusion de la pire de ses craintes.

Troisième voie : un couple, Guilhem et Marion. Une passion sensuelle croquée à pleines dents entre un jeune agriculteur d'ici et une belle femme d'ailleurs, déjà fiancée. Pour cet amour impossible, il n'y aura que cet instant-là.

Une disparition dans les bois, une découverte des cavernes, la rencontre voluptueuse des corps : cette triphonie végétale, minérale et charnelle trouve son point de chute et de grâce dans un dénouement qui dynamite le temps et rétroéclaire le récit. Quitter la vallée se dévore à la vitesse d'un thriller atmosphérique, ensorcelle par son mystère et ses accents poétiques. Renaud de Chaumaray, maître ès constructions, imbrique ses trois niveaux de récits avec une belle originalité. Loin des grosses machines de la rentrée littéraire, ce deuxième roman en est l'une des découvertes et marque l'installation méritée de son auteur chez les grands.