Roman/France 3 janvier Agnès Riva

On est en France à la toute fin des années 1980. Quelque part du côté du Golfe persique, la perspective d'une guerre se précise. Bientôt l'Irak envahira le Koweit. En attendant, quelque part en région parisienne, la vie commune commence pour Chrystelle et Luc, aussi nouvelle que la ville où ils s'installent, en couple pour la première fois. Un tournant pour chacun d'eux : la première, 19 ans, banlieusarde, qui n'a plus de famille après la mort récente de son père ouvrier dans le bâtiment, vient d'interrompre ses études ; le second plus âgé tout juste diplômé d'une école d'ingénieur a accepté sa première mission. Ses parents n'espèrent plus qu'il reprenne un jour l'entreprise familiale de délainage dans leur village de moyenne montagne, loin de Paris. Les deux jeunes gens emménagent six mois après leur rencontre, au quinzième étage d'une résidence, dans un deux-pièces de 50 m2 à la « découpe on ne peut plus rationnelle... sans recoins ni mauvaises surprises », un appartement acheté sur plan par les parents de Chrystelle dans l'une de ces villes qui promettaient « le bonheur de vivre », sorties de terre dans les années 1970. C'est un couple débutant mais déjà dans la cour des grands. Premier vrai travail pour lui, chargé d'imaginer les plans d'une extension de la ville. Horizon plus flou pour elle qui après avoir quitté une classe prépa aux écoles de commerce se cherche une voie. Leur vie sociale s'organise autour des collègues de boulot, des anciens potes de promotion, d'une voisine de palier trentenaire déjà mère de trois enfants, bientôt aussi, pour elle, dans la compagnie des membres des Jeunesses communistes rencontrés lors d'un bref passage en fac d'anglais. Voilà pour la sociologie, déterminante dans ce récit à distance. Même recul dans la description de leur vie de couple. Un couple qui prend ses marques dans une légère désynchronisation. Entre eux, des sentiments « venus modestement », une entente sincère mais sans élans passionnels. Aucun fossé infranchissable mais un décalage dans les attentes, les aspirations, les façons de se projeter dans l'avenir. Le pragmatisme conformiste de l'un, la détermination romantique de l'autre. Des désaccords qui ne font pas de scènes de ménage. « La seule chose qui le faisait un peu tiquer, c'était son côté idéaliste, sa vision politique qu'il ne partageait pas vraiment, même s'il n'était pas indifférent, loin s'en faut, à la misère du monde ».

Dans ce deuxième roman après le remarqué Géographie d'un adultère (Gallimard, 2018), qui cartographiait une relation extraconjugale emprisonnée à l'intérieur d'abstraites zones pavillonnaires, Agnès Riva observe ici encore comment les lieux, l'agencement des espaces, qu'ils soient collectifs ou privés, agissent sur les désirs et les frustrations, configurent les relations, façonnent les intimités. Là, la Ville nouvelle, fonctionnelle, construite sur un modèle de modernité urbaine déjà daté, contraste avec l'utopiste ancienne cité-jardin des années 1950 toute proche où habitent certains des séduisants camarades avec qui Chrystelle milite contre la Guerre du Golfe à venir. Tout en nous faisant respirer l'air politique et social commun de l'époque, écouter sa bande-son, la romancière emboîte sans nostalgie mais non sans humour, les pas de cette fille irrésolue des années 1990, dans les premiers goulets d'étranglement de sa vie amoureuse.

Agnès Riva
Ville nouvelle
L’Arbalète/Gallimard
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19,50 euros ; 256 p.
ISBN: 9782072880414
14.11 2019

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