22 août > Roman France > Simonetta Greggio

"Je suis Elsa Morante. Elisa, la Mordorée." Le ton est donné. Adulée par les uns, houspillée par les autres, elle ne laisse personne indifférent. Certainement pas Simonetta Greggio, qui voit en elle une étincelle déterminante. "Il y a au cours de notre existence des êtres qui se cognent à nous et nous escortent. Morante morte est plus vivante que jamais." Voilà pourquoi la romancière lui redonne une voix. Pour qu’elle puisse résonner au plus juste, Greggio a épluché les journaux, les œuvres et la correspondance de cette personnalité atypique. "La vie est une folie, sinon elle ne sert à rien." Celle d’Elsa Morante part dans tous les sens: comment en saisir l’essence? En privilégiant la forme éclatée, des fragments, dans l’ordre chronologique.

Apparaît ainsi une petite fille qui naît à Rome, en 1912. La pauvreté lui donne envie de se hisser au plus haut, mais Elsa ignore encore que ce sera grâce aux mots. "J’écris depuis que j’existe. Seul écrire est aussi fort que vivre." L’île d’Arturo et La storia la propulsent au-delà de ses espérances, mais qui est la femme derrière ces succès? Celui qu’elle appelle "Moraviacaro" incarne plus qu’un grand écrivain ou un mari, même si Alberto nie son amour pour Morante. "Avec moi, il était inconstant. Passionnel, vite lassé, infidèle. Indéchiffrable." Il n’empêche qu’elle se dit "bientôt mordue. Tu m’as fait exister. J’ai risqué ma vie pour toi." Constamment dans la tourmente ou la démesure, Elsa n’hésite pas à se mettre en danger pour tous les hommes qu’elle a aimés.

Sa vie de funambule se déroule en dents de scie, même si elle croise des êtres aussi fragiles ou emportés que Natalia Ginzburg (son éditrice), Pasolini ou Visconti. Thanatos les guette avant la chute. En toile de fond, Simonetta Greggio dessine aussi la chronique d’une certaine Italie, traversée par la guerre, les inégalités sociales ou les trahisons. Le style ciselé, si contemporain, joue comme avec un couperet, déstabilisant de vérité. Elle laisse le dernier mot à Morante: "Nous serons jugés selon notre appétit de vivre. Le monde est si beau. Il continuera sans moi."

Kerenn Elkaïm

Les dernières
actualités