Essai/France 11 janvier Hent de Vries

Y a-t-il encore des miracles ? Y en a-t-il d'ailleurs jamais eu ? Et qu'entendons-nous par ce terme ? Car à chaque fois qu'on nous en présente un, on regarde dans les manches du bon Dieu comme dans celle de l'illusionniste qui détourne l'attention du public pour nous cacher son truc. Mais quel est cet artifice ? Le philosophe d'origine néerlandaise Hent de Vries se propose de nous l'expliquer. Son enquête est fort plaisante à lire lorsqu'il évoque le poète américain Walt Whitman et son approche du miracle quotidien. « Pour moi chaque heure du jour et de la nuit est un miracle, chaque centimètre cube de l'espace est un miracle. » En effet, là où tout peut être miracle, tout devient miraculeux dès qu'on recherche les motifs d'émerveillement journalier.

L'étude devient un peu plus trapue lorsqu'elle aborde les sphères de Levinas ou de Derrida ou chemine dans la pensée de Wittgenstein et de Spinoza. Mais nous retombons en territoire moins aride avec le personnage de magicien croqué par Walter Benjamin dans Rastelli raconte. « Le miracle et la croyance aux miracles peuvent inaugurer ou au moins continuer à nous inspirer toujours à nouveau, voire plus que jamais. » Mais qui tire les ficelles ? Ou quoi ? Doit-on se fier aux apparences qui comme chacun sait sont trompeuses ?

Hent de Vries est un spécialiste des liens entre théologie et religion. C'est à partir de son enseignement dans les universités américaines et à l'Institut catholique de Paris qu'il nous fait réfléchir sur notre rapport à l'extraordinaire, sur notre manière d'en parler, de le nommer hors du religieux, même si son origine y renvoie constamment. En quelques siècles le code a changé, mais les miracles n'ont pas disparu de la réalité. L'auteur de Religion et violence (Cerf, 2013) parle aussi d'« effets spéciaux » comme au cinéma pour désigner cet effet illusoire plaqué sur le réel. « Les miracles modèlent les événements autant qu'ils sont modelés par - et d'après - eux. »

Il y a comme un accord des miracles avec nous et le monde, un entremêlement de phénomènes qui se croisent. Bergson résume bien la situation. « L'humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu'elle a faits. Elle ne sait pas assez que son devenir dépend d'elle. A elle de voir d'abord si elle veut vivre seulement, ou fournir en outre l'effort nécessaire pour que s'accomplisse, jusque sur notre planète réfractaire, la fonction essentielle de l'univers, qui est une machine à faire des dieux. »

Ces dieux, à chacun de les nommer, ont une fonction : envisager l'impossible possible, réapprendre à espérer et à s'émerveiller. La notion de miracle nous aide à voir le fil entre ce que nous percevons et l'univers technologique et médiatique qui nous entoure. Elle signale l'irruption de la croyance dans l'espace public, cet « extraordinaire de l'ordinaire » qui ne trouve pas d'explication naturelle. Le miracle est alors vécu comme sensation d'inquiétante étrangeté, fugace moment d'étonnement et mystère intérieur dont parlent les poètes. Pour le coup, y échapper serait un véritable miracle.

Hent de Vries
Le miracle au cœur de l’ordinaire
Encre marine
Tirage: 800 ex.
Prix: 15 euros ; 200 p.
ISBN: 9782350881560

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