21 août > Roman France

"Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau, d’où ils ne reviendraient plus." Emma Bovary rêve de fuir avec son amant. Bénédicte Ombredanne aussi se projette au large et n’entend pas transiger avec la "lisseur" du réel : "Je préfère le profond, ce qui peut se pénétrer, ce en quoi il est envisageable de s’engloutir, de se dissimuler : l’amour et les forêts, la nuit, l’automne […]."

Cela dit, elle a meilleur goût que l’héroïne flaubertienne, puisqu’elle lit Eric Reinhardt. Bénédicte Ombredanne est le personnage principal de la nouvelle fiction de l’auteur de Cendrillon. Prof de français vivant à Metz, elle adresse une lettre bien sentie à l’écrivain, dont le dernier roman lui a fait tant impression, et qui consent à la rencontrer à Paris, au café de la place Colette, le Nemours. Nomen est omen ? Nemours, comme le duc épris de la princesse de Clèves ? Reinhardt, se mettant en scène dans les premières pages de L’amour et les forêts, nous rejouerait-il le classique de l’amour impossible entre un romancier et sa fan ? Non, même s’il ne peut s’empêcher des passages autoréflexifs sur ses angoisses d’écrivain, il esquive assez habilement l’écueil de l’exercice d’auto-admiration. Après le second rendez-vous avec la lectrice, Reinhardt s’oublie et nous entraîne quelques années en arrière dans l’existence de cette femme aux prises avec un quotidien d’un oppressant ennui, et dont les deux enfants ne sauraient combler la soif d’absolu. Ainsi se redéploie l’atmosphère de la classe moyenne, dont les ambitions frustrées sont à l’aune de la mesquinerie vécue. Et resurgissent des figures coutumières de son œuvre, tel le cadre sup despotique - on se souvient de Jean-Jacques Carton-Mercier d’Existence (Stock, 2004, puis en Folio). Car loin d’être un Charles Bovary falot, le mari de Bénédicte Ombredanne est violent et égocentrique, carrément abusif. Un jour, elle le retrouve prostré dans leur chambre, se morfondant après s’être reconnu comme "harceleur certifié" dans une émission de radio consacrée à cette pathologie. La vision de cet homme sans hauteur, "slip souillé et deux chaussettes puantes" jetés au sol, la décide. Basta ! Elle a 36 ans : elle, la littéraire, la sensible, la poétique, mérite mieux, et certainement pas ça ! Elle s’inscrit sur Meetic et rencontre "Playmobil677", brocanteur de Strasbourg et tireur à l’arc. En cet après-midi de mars 2006, tout bascule. N’ayant pas cours ce jour-là, elle prend la voiture et va à la rencontre de Christian, qu’elle ne connaît pas et qui habite à l’orée du bois, dans une maison pleine d’antiquités. Sa gentillesse, ses prévenances. Il lui plaît. Quelle chance. Ils font l’amour deux fois. Eperdument. C’est l’extase. Quel malheur ! Des cimes, on ne peut que tomber. Le retour à la réalité et la confrontation avec un mari fou de jalousie sont le début d’un enfer qui ne pourra pourtant pas effacer la brûlure des caresses. Eric Reinhardt, à travers le brio de sa plume, grâce au génie de l’empathie, nous fait plonger avec Bénédicte Ombredanne dans son vertige et sa chute, et signe une tragédie sublime.

Sean J. Rose

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