11 février > Essai France

"Je suis jalouse." Giulia Sissa revendique sa jalousie avec opiniâtreté. Au nom de la singularité fragile de l’amour et parce qu’elle comprend la colère érotique de Médée. "Icône d’une jalousie sans honte, elle nous demande de respecter l’amour." Pour l’expliquer, elle propose en quelques tableaux une histoire culturelle de cette "passion inavouable" qu’elle avoue bien volontiers.

Anthropologue et philosophe spécialisée du monde grec, professeure depuis plusieurs années en Californie (Ucla), Giulia Sissa a commencé son parcours à l’université de Pavie, en Italie, puis à l’EHESS, à Paris. On lui doit un ouvrage remarqué - Sexe et sensualité (Odile Jacob, 2011) - dans lequel elle faisait appel à la pensée antique et médiévale pour saisir un problème contemporain. Cette fois, c’est dans l’analyse d’auteurs qui vont d’Euripide à Catherine Millet qu’elle circonscrit la jalousie.

Giulia Sissa montre qu’il y a une dynamique dans ce curieux sentiment si bien exprimé par La Rochefoucauld. "On a honte d’avouer qu’on a de la jalousie, et l’on se fait honneur d’en avoir eu et d’être capable d’en avoir." Il n’y a que les moralistes pour décrire ces emportements du cœur. Et il n’y a bien souvent que les écrivains pour les traduire dans leur complexité, comme Alain Robbe-Grillet : dans son roman paru en 1957, La jalousie, le terme désigne à la fois le sentiment et les persiennes comme postes d’observation.

En parodiant Lacan, on pourrait considérer le jaloux comme quelqu’un qui veut reprendre quelque chose à quelqu’un qui ne l’a pas. Giulia Sissa nous montre que c’est plus compliqué. Elle s’engouffre dans l’archéologie d’une passion finalement pas si triste qui nous ramène vers l’art d’aimer d’Ovide après quelques étapes chez Rousseau, Diderot, Kant, Hobbes, Stendhal, Marx, Althusser ou Beauvoir et Sartre avec leurs amours contingentes.

Pour en finir avec la honte, à partir de son expérience "à la fois de l’infidélité et de la douleur jalouse", Giulia Sissa déploie l’éventail d’un savoir qui puise dans les mythes, la philosophie, la psychanalyse et la littérature. De ce beau travail historique et textuel, il ressort que la jalousie n’est pas l’envie. Il y a une sorte de colère un peu désespérée dans la première, alors que la seconde ne fonctionne qu’au ressentiment comme un vice sans plaisir. "La femme contemporaine se plie au conformisme social qui impose de se montrer "digne", autrement dit d’encaisser le coup, en silence. La femme antique exigeait son dû. Moi aussi." Ce plaidoyer pour la redécouverte d’une jalousie noble, pour un art de jalouser qui respecte l’amour, n’est paradoxalement pas sans générosité. L. L.

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