Une longue marche. Pour son nouveau roman, Les forces, la poétesse Laura Vazquez reprend les codes du roman d'apprentissage. Elle retrace de façon chronologique le parcours d'une narratrice, qui, de l'enfance à l'âge adulte, traverse cinq différentes strates sociales. Tout du long, des textes de philosophie et de littérature classique - Jean-Jacques Rousseau, Emmanuel Kant, Simone Weil, Louise Labé, Walter Benjamin... - l'accompagnent, avec lesquels elle dialogue. Laura Vazquez décrit l'évolution de son personnage en utilisant un mode introspectif et par un style d'écriture qui lui est propre, empreint d'une inquiétante étrangeté et d'un questionnement constant autour des normes, des conventions et de l'ordre social. En décortiquant le réel, elle le met à distance et en souligne le caractère absurde, replaçant sa subjectivité au cœur d'une multiplicité d'interprétations possibles et vertigineuses. « Dans une telle intensité d'ennui de merde, je me sentais vivante dans un monde de morts. » Très tôt, dès l'enfance, lorsqu'elle accompagne sa mère au centre commercial les samedis après-midi, la narratrice remarque que « tout le monde ment », que les adultes « joue[nt] la comédie » et affichent des expressions qui semblent dissimuler ce qu'ils ressentent vraiment. Ils sourient quand ils sont tristes, par exemple, et comme ils ne se regardent pas vraiment les uns les autres, ils ne voient pas les larmes prêtes à couler sur le visage affable de leurs semblables. La narratrice comprend aussi qu'ils ont besoin, sûrement par habitude, de désigner les choses pour que celles-ci existent et ainsi forcent le réel à être tel qu'ils le perçoivent. « Les humains assujettissent le monde. Ils structurent, ils figent. Ils imposent leur ordre et finissent par croire que cet ordre est celui de la nature. »
Plus tard, lorsqu'elle rencontre une fille sur une application de rencontre, elle découvre tout un nouvel univers. Le bar lesbien dans lequel elles ont rendez-vous est peuplé de femmes qui l'adoptent « comme on adopte un chien bizarre » et elle devient une habituée du lieu. Si bien qu'elle embrasse les codes de son nouveau cercle d'amies : « Afin de me fondre dans le groupe, j'ai fabriqué ce qu'on appelle un style [...]. Dans ma narine droite, j'ai fait mettre un anneau. Et sur ma tête, une casquette. [...] Ils indiquent que j'ai l'habitude d'un certain type de conformisme. »
Les forces prend progressivement la forme d'une odyssée politique pour échapper au conditionnement normatif et se poursuit dans « la maison des morts » puis dans « les sectes diverses » avant d'aboutir, au travers d'une longue marche solitaire dans la nature, jusque sur les hauteurs d'une montagne. « On peut se demander où je vais. Et comme je ne le savais pas, je ne pouvais rien dire. » Ce sublime roman est le livre le plus narratif de Laura Vazquez, mais aussi l'un de ses plus mystiques.
Les forces
Éditions du sous-sol
Tirage: 9 000 ex.
Prix: 23,50 € ; 380 p.
ISBN: 9782386630224