Laurence Engel

Laurence Engel : "La BNF est un lieu d’innovation"

Olivier Dion

Laurence Engel : "La BNF est un lieu d’innovation"

Arrivée au poste de présidente de la Bibliothèque nationale de France le 4 avril, Laurence Engel précise à Livres Hebdo, dans son premier entretien à la presse depuis sa nomination, sa vision de l’institution sur laquelle elle va veiller pendant cinq ans.

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Par Véronique Heurtematte,
Créé le 29.04.2016 à 02h00 ,
Mis à jour le 29.04.2016 à 11h32

Laurence Engel a pris officiellement le 4 avril la présidence de la Bibliothèque nationale de France (BNF). Cette énarque de 49 ans, qui occupait depuis 2014 le poste nouvellement créé de médiatrice du livre (1), et qui fut directrice des affaires culturelles de la Ville de Paris, de 2008 à 2012, puis directrice de cabinet de la ministre de la Culture d’alors, Aurélie Filippetti, de 2012 à 2014, est la première femme nommée à cette fonction. Coordonner la réouverture du site Richelieu, poursuivre la réflexion sur l’accueil des publics dans leur diversité, renforcer l’inscription de la BNF comme protagoniste incontournable de l’accès aux savoirs, continuer à relever les défis posés par le numérique : la nouvelle présidente détaille pour Livres Hebdo les enjeux majeurs de son mandat.

Laurence Engel - J’ai fait le choix du service public et de la culture. C’est le choix d’une vie, personnelle et professionnelle. Je crois profondément à la force de la culture. Et le livre a joué un rôle particulier dans la construction de cette conviction intime. Présider la BNF était donc pour moi une perspective exaltante. La BNF est l’une de nos plus belles et plus anciennes institutions culturelles. Elle illustre la place des auteurs et des intellectuels dans la construction de notre identité. Elle est le foyer d’un patrimoine exceptionnel, mais aussi vivant, arrimé à la création, par vocation en raison du dépôt légal, par volonté à travers ses collections de manuscrits. Un patrimoine qui s’étend bien au-delà du livre. C’est aussi une institution profondément utile par les métiers qu’elle abrite, à un moment où la capacité à accéder aux savoirs est un enjeu démocratique majeur.

Donner à la BNF toute sa place dans l’univers numérique est à mes yeux un enjeu central. Pouvoir s’orienter dans la forêt des informations et des savoirs, les "cataloguer", les référencer : le numérique donne à ces notions, qui renvoient toutes aux métiers des bibliothèques, une nouvelle actualité. Or les citoyens ne savent pas suffisamment que nos professionnels possèdent au plus haut niveau d’expertise ces savoir-faire. La BNF, après l’impulsion donnée par Jean-Noël Jeanneney, puis avec Bruno Racine, a industrialisé ses processus de numérisation. Gallica compte aujourd’hui près de 4 millions de documents : c’est un acquis important. Mais le principal enjeu aujourd’hui, c’est de gagner la bataille du référencement. La BNF a une place à revendiquer dans la cartographie de l’accès aux savoirs, aux côtés des Gafa (2) et des encyclopédies collaboratives. Elle doit être un référent et un animateur de l’espace public, physique et numérique. Mon ambition est que les publics acquièrent le "réflexe" BNF.

Ces deux dimensions - la recherche et le grand public - ne sont pas séparables. La BNF est une bibliothèque de recherche, c’est sa mission première, fondamentale. Mais elle doit aussi s’adresser au grand public. Elle est déjà très investie dans la réflexion sur les différents types de publics. L’architecture même du site François-Mitterrand témoigne de cette attention à différents usages. Que l’on vienne à la BNF non seulement pour consulter des livres mais simplement pour travailler me paraît ainsi être un atout : le signe d’une hospitalité, une manière ouverte d’assumer notre mission et le moyen d’attirer le public vers notre patrimoine. Pour cela, il faut sans doute rendre l’institution et sa programmation plus lisibles pour être plus visibles : c’est mon objectif.

Mais la fréquentation ne baisse pas ! Elle se transforme, ce n’est pas la même chose. Le site François-Mitterrand a été construit à l’aube de l’ère numérique. Il annonçait la création d’une bibliothèque virtuelle. Elle existe aujourd’hui : c’est la BNF-Gallica. Il y a bien entendu moins de communications de documents en salle, mais ce n’est pas une surprise : on ne peut pas à la fois engager la révolution numérique, revendiquer pour la BNF une place maîtresse dans ce mouvement et s’étonner de ses conséquences sur les pratiques. Les quelque 32 millions de visites numériques s’ajoutent au million de visiteurs qui viennent tous les ans sur les sites physiques. Et d’autres usages ne sont pas comptabilisés alors même qu’ils se développent : la fréquentation des places en accès libre, par exemple, qui ne nécessite ni carte ni ticket, est estimée à plus de 50 000 personnes par an. Un nouveau rapport aux sites et aux documents physiques est en train de se réinventer. Et j’ai la volonté d’être attentive à tous les modes d’accès à nos services.

La situation budgétaire de la France est une donnée. C’est aussi une contrainte, qui n’empêche pas l’Etat d’investir dans des projets importants, comme la rénovation de Richelieu ; mais elle existe et vaut pour toutes les institutions culturelles. Le recours aux recettes propres est par ailleurs ancien et peut encore progresser. Il faut toutefois tenir compte de la nature de chaque établissement et du modèle économique qui en découle. Pour la BNF, en raison de ses missions patrimoniales et de sa fonction de bibliothèque, la part du financement public reste et restera très importante.

Sans eux, pour des raisons budgétaires, on n’aurait pas pu numériser certaines collections spécifiques. Le principe du partenariat public-privé est intéressant ; mais il faut veiller à préserver l’intérêt public et c’est ce qu’a voulu faire mon prédécesseur. Je serai très vigilante sur ce point.

Cette coopération revêt une grande importance à mes yeux. Avec Gallica en marque blanche, la BNF a commencé de mettre à la disposition des bibliothèques en région un outil performant qui leur permet de déployer leur propre identité en numérique. Cela contribue, avec d’autres dispositifs, à tisser la toile de l’offre publique dématérialisée. Je veux enrichir et développer cette démarche. Les expositions hors les murs et la politique de prêts constituent une autre manière de coopérer. La BNF doit être présente partout en France : c’est aussi le sens de sa mission nationale.

Ce sera d’abord un grand événement, pour l’institution, qui va retrouver progressivement la plénitude de son identité et de ses moyens, et pour tous les agents qui la servent avec compétence et dévouement. Pour le public, ce sera dès 2016 l’occasion de redécouvrir un patrimoine exceptionnel, et un ensemble unique, de collections d’histoire de l’art avec la présence de l’Institut national d’histoire de l’art et de l’Ecole nationale des chartes. Cette première étape concernera toutefois pour l’essentiel la recherche. Le grand public devra attendre 2020 et la fin des travaux pour découvrir un site Richelieu métamorphosé avec l’ouverture de la galerie Mansart, de la salle Ovale et d’un parcours muséal. Ce monument, en plein cœur de Paris, sera ouvert sur son territoire urbain, comme un de ces "passages" parisiens chers à Walter Benjamin. Ce sera l’occasion d’instaurer une relation quotidienne avec notre public, de montrer les trésors que recèle la BNF et d’illustrer sa vocation, qui est de s’adresser à tous, chercheurs comme passants.

(1) Voir "Régulation. Le premier bilan de la médiatrice du livre", LH 1079, du 1.4.2016, p. 24-25.

(2) Google, Apple, Facebook et Amazon.

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