Correspondance/France 21 février Blossom M. Douthat

Elle n'a pas froid aux yeux, cette jeune femme qui, à la fin des années 1950, adresse à Simone de Beauvoir ces cinq longues lettres en forme de carnet de voyage réunies par les Editions du Mauconduit. Son culot, sa confiance enthousiaste arrosée d'une bonne dose d'exaltation romantique forcent l'admiration. Tout comme sa verve autobiographique.

Quant à la mi-juillet 1958, Blossom Margareth Douthat, une étudiante américaine de 28 ans, quitte Paris pour rejoindre le sud de la France et l'Italie en auto-stop, avec « l'idée de faire un peu [son] éducation sentimentale et sensuelle », le programme de ces vacances initiatiques est plutôt audacieux : « Puisque j'étais entièrement "libre", au cours de mon voyage je coucherais avec quiconque me plairait, sans me retenir mais également sans m'attacher - mais que je ne céderais pas à ceux qui ne me plairaient pas », écrit-elle à Simone de Beauvoir, qu'elle admire passionnément et à qui elle a confié quelques semaines plus tôt le journal qu'elle tient depuis 1943. Un « extravagant journal » - 18 volumes manuscrits, 8 000 pages -, comme le qualifiera dans La force des choses la philosophe qui lui conseille toutefois d'abandonner cette pratique pour aller vers la fiction.

C'est à travers la forme épistolaire que notre routarde idéaliste et pragmatique va tenter de suivre ces recommandations, à l'occasion de ce voyage où il s'agit d'accueillir le hasard de la rencontre et d'évaluer l'amant potentiel sur la base de deux questions : a-t-elle envie d'une relation sexuelle ? L'élu est-il de gauche ? Ce critère idéologique, essentiel, conditionnant le premier.

Quant à la règle de « ne pas s'attacher », c'est celle qu'elle va transgresser dès le début de son périple, en tombant sous le charme d'un camionneur qui propose de la déposer à Nice. Cette aventure inaugurale où l'auto-stoppeuse bascule de l'impulsion consentie sans calcul à la projection amoureuse obsessionnelle est à la fois prologue et fil rouge d'un récit qui couvre les deux mois qui suivent l'extatique nuit étoilée sur la couchette de « Raymond le niçois » et qui la conduiront de Nice à Milan, de Milan à Venise (en train) puis de Nice à Marseille... Deux mois au cours desquels le risque des « incidents désagréables », les lourdes avances des « baratineurs » et la crainte des « chasseurs de femmes » ne parviendront pas à entamer « la griserie de la route ».

Déposées par Sylvie Le Bon de Beauvoir, la fille adoptive de Simone de Beauvoir, à l'Association pour l'autobiographie et le Patrimoine Autobiographique (APA) qui conserve les archives de Blossom M. Douthat, ces lettres écrites directement dans un français impressionnant de maîtrise traduisent un évident projet littéraire. Outre la dimension intrinsèquement romanesque de cette autoanalyse poussée, le récit est sciemment scénarisé, notamment l'attente de retrouvailles sans cesse ajournées avec l'insaisissable Raymond qu'elle raconte en ménageant le suspense sur le mode il est passé par ici, il repassera par là. D'ailleurs si vous voulez connaître au même rythme que Simone de Beauvoir « la "vérité" sur Raymond », lisez seulement à la fin la préface de Philippe Lejeune, le président de l'APA.

Blossom Margaret Douthat
Un amour de la route : lettres à Simone de Beauvoir : août-octobre 1958 - Préface de Philippe Lejeune
Éditions du Mauconduit
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 23 euros ; 256 p.
ISBN: 9791090566316

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