21 août > Roman France

Valentine Goby- Photo FANNY DION/ACTES SUD

De nos jours, face à des lycéens, une vieille dame, Suzanne Langlois, tente de raconter l’horreur telle qu’elle l’a vécue - un an de déportation au camp de Ravensbrück -, afin que les jeunes générations ne deviennent pas amnésiques. « Devoir de mémoire » est une expression un peu galvaudée, mais qui prend ici tout son sens. Sauf que Suzanne, à un moment, submergée par l’émotion, ne sait plus si elle aura encore la force d’accomplir cette ultime mission. Et à quoi bon ? Alors, comme pour se remobiliser, elle va redevenir Mila, la jeune résistante de la rue Daguerre, à Paris, arrêtée en avril 1944, internée à Fresnes puis transférée en Allemagne.

A Ravensbrück, dans le Mecklembourg, une espèce de Sibérie prussienne baignée par la Baltique. Il y fait couramment - 20 °C. « L’hiver, c’est un truc de nazi », se disaient entre elles les déportées, puisque ce camp était réservé aux femmes. Et aux enfants de celles qui y arrivaient enceintes, ce qui est le cas de Mila. Elle tente de dissimuler son état le plus longtemps possible, y compris à ses compagnes d’infortune, Lisette, Teresa la Polonaise ou Georgette la prof de maths. Mais son corps, bientôt, la trahit. Elle va donc devoir accoucher à Ravensbrück, dans l’infirmerie sommaire prévue à cet effet. Et puis, elle partagera son sort avec son fils, James ou Sacha, ou Sacha-James, peu importe, jusqu’au 24 avril 1945. A l’approche de l’Armée rouge, les nazis « libèrent » leurs captives et s’enfuient. Lorsqu’il aura 21 ans, l’âge de la majorité en ce temps-là, Mila révélera à Sacha-James toute la vérité sur ses origines. Que l’on ne dévoilera pas ici, naturellement.

Pour un écrivain, le sujet de Kinderzimmer est particulièrement difficile, voire casse-cou. Comment raconter l’innommable sans tomber dans le déjà-lu, l’anecdotique ou le pathos ? Valentine Goby, qui a du talent, de la ressource et de la puissance, parvient parfaitement à éviter tous ces écueils, et s’en tire par le haut. Elle donne la parole à ses héroïnes, à propos de ce qu’elles ont de plus fondamental : leur corps. Et elle montre que, face à la barbarie et à l’abjection, un être humain peut conserver sa dignité, sa liberté dans sa tête, voire son humour. Les femmes de Ravensbrück, par exemple, s’amusent à retranscrire phonétiquement les mots allemands qu’elles parviennent à identifier…

Le roman est souvent grave. Le typhus frappe, les deuils s’accumulent (Lisette, Georgette…). Mais il est aussi riche de fort beaux passages : quand, le 14 juillet, les Françaises murmurent une Marseillaise clandestine, la bouche fermée, comme le refrain du Chant des partisans. Ou quand le fils de Mila bénéficie d’une bouleversante chaîne de solidarité : mis au monde avec l’aide d’une Schwester allemande, allaité par une Russe qui a perdu son propre enfant, réchauffé par presque toutes. C’est un peu un bébé collectif, un espoir, un symbole. Et c’est cela le message que Mila, redevenue Suzanne, a fait passer à son fils, Sacha-James, et qu’au finale elle ira porter aux lycéens, afin que nul ne puisse dire : « Je ne savais pas. » Jean-Claude Perrier

17.10 2013

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