4 janvier > Récit France > Jean-Noël Pancrazi

Depuis plus de cinquante ans, 1962 et son embarquement à Bône (aujourd’hui Annaba) avec sa famille vers une France métropolitaine qu’il ne connaissait pas et où il aura du mal à s’adapter (s’est-il vraiment adapté, d’ailleurs ? il y a chez lui un côté décalé, un peu lunaire), Jean-Noël Pancrazi, né à Sétif en 1949, n’était jamais retourné en Algérie. Au début, parce qu’il gardait à vif le souvenir de l’attentat du café Le Régent, où il se trouvait en cachette, et où il aurait pu être tué. Douleur réactivée en 2015 par les attentats du Bataclan, non loin de chez lui. Il avait toujours résisté aux prières de ses amis. Jusqu’à ce mois de décembre 2016, où il est invité, en tant que juré, au Festival du cinéma méditerranéen d’Annaba. Occasion rêvée pour un séjour buissonnier - du moins c’est ce qu’il croyait, ignorant l’organisation et la sécurité, dignes des pays de l’ex-Europe de l’Est - et, surtout, pour un retour aux sources.

Tout en effectuant consciencieusement sa tâche, bien plus prenante que prévu, il parvient à s’évader un peu. Il se lie avec une famille de jeunes autochtones désœuvrés : Wissam, le poète, Kader, le cadet, petit trader de dollars, et Kamel, le jeune boiteux avec sa canne, son chouchou, qui lui rappelle un peu Charlot. Grâce à Adel, le cousin de Batna, qui possède une voiture, ils projettent une expédition, tous ensemble, vers Sétif.

Pour le coup, Pancrazi remouline ses souvenirs d’enfance, de sa mère, modeste maîtresse d’école pour les tout-petits, de son père, comptable aux minoteries des Aurès. Tout se télescope, par associations d’idées, en une espèce de flot de mots, sans dialogues ni chapitres, en phrases longues, un peu étouffantes. Sauf à un moment, où tout s’accélère : après la cérémonie de clôture, veille du pèlerinage dont il se faisait une joie, l’écrivain voit débarquer dans sa chambre des barbouzes qui lui signifient, sans explication aucune, qu’il est indésirable dans le pays, et va être immédiatement expulsé, renvoyé à Paris par le premier avion. Bouleversé, déboussolé, angoissé, sa réaction sera : "Vous me chassez, comme il y a 50 ans ?"

De cette mésaventure, Jean-Noël Pancrazi a écrit le récit très personnel, à la fois tendre pour ses amis algériens, qu’il n’a même pas pu prévenir de son sort, féroce pour le régime, et amer quant à ces retrouvailles sabotées, à cette occasion manquée qui ne se représentera sans doute jamais plus. J.-C. P.

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