La Cour suprême d’Israël vient d’ordonner l’ouverture des coffres appartenant aux héritières de Max Brod et supposés contenir d’éventuels trésors littéraires signés par Kafka. (voir l' actualité du 20 juillet dernier ) Le début de l’histoire est connu : un testament ordonnant de brûler, doublé d’un ami qui n’obtempère pas. La suite est tout aussi fascinante. Max Brod meurt en 1968 à Tel-Aviv, où il avait fui le régime nazi. Entretemps, en 1956, il a déposé des documents dans quatre coffres, deux en Israël et deux à Zurich, Il laisse pour légataire Esther Hoffe, sa secrétaire. Elle vend pour 2 millions de dollars le manuscrit du Procès, aujourd’hui conservé au centre d’archives de Marbach en Allemagne. Esther décède en 2007. Ses deux filles, Eva et Ruth, sont ses seules héritières. La Bibliothèque nationale d’Israël intente alors soudainement un procès, arguant, bien a posteriori , d’un passage du testament de Brod demandant que ses propres manuscrits et ceux de Kafka reviennent à la bibliothèque hébraïque de Jérusalem, à la bibliothèque nationale de Tel-Aviv, ou « à n’importe quel autre centre public d’archives ».   Sans oublier de souligner qu'Esther Hoffe aurait déjà violé cette disposition en cédant le manuscrit du Procès à l’Etat allemand — ce qui laisse sceptique sur la réactivité de l’institution culturelle israélienne. Après expertise du contenu des coffres, le juge des familles près le tribunal de Tel-Aviv devra statuer en fin d’année pour savoir si les papiers litigieux sont un trésor littéraire revenant aux organismes publics ou doivent rester propriété des deux sœurs.   Le cas de l’auteur du Procès présente aujourd’hui tant de facettes juridiques qu’il couvre à lui seul nombre de problématiques récurrentes au droit d’auteur, depuis le respect des volontés d’un écrivain en passant par les mécanismes de dévolution successorale. Contentons-nous pour l’heure de rappeler le sort des manuscrits inédits. Ceux-ci sont souvent des fonds de tiroir et parfois de réels chefs-d'œuvre que l'on croyait disparus à tout jamais. Tous suscitent de grandes passions, littéraires, financières, scientifiques ou judiciaires. En France, le droit sur les œuvres posthumes est en effet complexe, mais d'une rigueur implacable prévue par le Code de la propriété intellectuelle. Pour l'écrivain qui n’est pas encore tombé dans le domaine public, seuls ses ayants droit percevront des redevances ; en revanche, pour ce qui est du manuscrit caché et publié après la période légale de protection, les droits patrimoniaux reviendront au propriétaire matériel de l’inédit. Il s'agit là d'une exception au principe d'indépendance des propriétés incorporelle et   matérielle. La foire d’empoigne entre héritiers, collectionneurs et institutions ne fait que commencer La loi accorde audit propriétaire matériel un monopole d’une durée de vingt-cinq ans lorsqu’il dévoile publiquement son bien… C’est ainsi que les manuscrits très posthumes de Jules Verne ont donné lieu à des empoignades judiciaires, notamment avec la bibliothèque de la ville de Nantes. L’établissement communal possédait en effet plusieurs manuscrits posthumes et inédits acquis en 1891 des héritiers de l’écrivain. Elle en a concédé le droit d’exploitation à un éditeur. Mais un détenteur de copies des mêmes textes en avait, de son côté, fait de même avec une autre maison d’édition. L’empoignade concurrentielle a débuté fin 1988 pour s’achever, après de multiples décisions de justice, devant la Cour d’appel d’Amiens, le 1 er avril 1996. La Bibliothèque Nationale de France est, en vertu des mêmes règles et grâce à la propriété matérielle du manuscrit original, seule à pouvoir commercialiser, depuis 1999, des Souvenirs d’un voyage dans le Maroc de Delacroix, via un accord d’exclusivité avec Gallimard ; soit deux ans après avoir acquis le support original de ce journal en partie dessiné et resté inédit. Et bien malin celui qui, à l’avenir, saura dire ce qu’est un manuscrit original, dont la propriété matérielle est le sésame pour obtenir tout à fait légalement de tels droits de propriété intellectuelle. Comment trancher entre les différents états qu’un écrivain peut être amené à rédiger, sans compter l’utilisation de l’ordinateur et de l’imprimante, voire du fichier numérique envoyé par mail à l’éditeur ? La foire d’empoigne entre héritiers, collectionneurs et institutions ne fait que commencer.  
15.10 2013

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