Selon une enquête de la Japan Publishing Industry Foundation for Culture (JPIC), fondation à la gestion collective qui soutient l’industrie du livre et promeut la lecture au Japon, s’il y avait 20 880 librairies au Japon en 2003, on n’en comptait plus que 10 417 en 2024.
L’année dernière, 57 librairies ont vu le jour sur le territoire nippon alors que 537 fermaient (129 créations et 72 fermetures en France sur la même période, selon les données du Centre national du livre). Ces fermetures ne sont pas sans conséquences pour les éditeurs : en 20 ans, le nombre de maisons d’édition a chuté de 34 % et le chiffre d’affaires des magazines a été divisé par trois…
Au pied du mur, le Japon sait que, pour espérer une sortie de crise, il doit redéfinir ses orientations et faire autant bouger les lignes politiques avec la mise en œuvre de dispositifs de soutien à l’industrie du livre que les pratiques professionnelles avec une interprofession unie autour de la revitalisation du secteur.
Mobilisation politique
Colombine Depaire, cheffe du Pôle Livre et Débat d’idées à l’Institut Français du Japon (IFJ), nous éclaire sur cette prise de conscience : « Le Japon vit un moment décisif. Il ne met généralement pas d’argent public dans la culture et c’est la première fois que se dessine une volonté politique d’aider la filière du livre en crise. » Cette mobilisation politique a pris la forme d’une alliance parlementaire du Parti libéral-démocrate, constituée dès 2022, et a abouti à la publication d’un rapport en octobre 2024 par le ministère de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie (METI), puis à l’adoption le mois dernier en Conseil des ministres d’un plan de redynamisation des librairies qui en fait une priorité nationale.
Si une synergie ministérielle semble à l’œuvre, les professionnels sont aussi fortement invités à penser collectif, à l’instar de ce qu’ont fait les éditions Kodansha en débloquant une aide financière à destination des libraires : une première pour un acteur privé au Japon.
Après avoir adopté en 2008 le prix unique du livre sur le modèle de la loi Lang, c’est de nouveau vers la France que le Japon tourne ses regards pour imaginer des mesures de soutien à la filière.
Délégation influente
Questionné depuis l’année dernière par le METI sur la réglementation française dédiée au livre, l’IFJ a présenté les initiatives de la filière du livre en France devant plusieurs membres du gouvernement et 240 libraires et éditeurs japonais en novembre dernier. Une vingtaine d’éditeurs de livres et de magazines, libraires, institutionnels et journalistes parmi les plus influents du pays ont participé au voyage d’études organisé à Paris par la JPIC la semaine dernière, en plein Japan Expo 2025.
Accueillis au ministère de la Culture pour une présentation des priorités nationales, ils ont ensuite pu interagir avec quasiment l’ensemble de l’interprofession française : la BNF, le CNL sur ses aides à la filière, la DRAC Île-de-France pour la déclinaison territoriale de la politique du livre et de la lecture ; le SNE sur son fonctionnement et ses grands dossiers en cours, la FILL sur les librairies en milieu rural, l’Institut Français sur les dispositifs d’aide à l’export ; la Sofia sur la gestion des droits d’auteurs ; le SLF sur l’écosystème des librairies ; l’Adelc sur ses aides aux librairies de création ; l’Arcom sur la lutte contre le piratage ; des associations de libraires ou encore les Petits Champions de la lecture, etc.
Alors que la prochaine édition du Tokyo Rights Meeting se déroulera les 5 et 6 novembre prochains - la Tokyo International Book Fair ayant baissé le rideau depuis quelques années -, France Livre leur a présenté son fellowship ainsi que le Paris Book Market en plein essor. Puis a été évoqué le festival du livre de Paris (pour lequel l'autrice de ces lignes travaille également).
« Nous sommes là pour apprendre de vous, prendre exemple sur ce que vous faites pour l’appliquer au Japon. »
A l’issue de ces deux journées, nous demandons à nos invités japonais ce qui les a le plus interpellés. Tous répondent à l’unisson : « L’étendue de vos politiques publiques en faveur de la filière ! » Oui, mais laquelle en particulier ? Pour Tsukuru Ikeda, journaliste au quotidien Yomiuri Shimbun, c’est « la formation des libraires, le rôle des librairies sur les territoires et les groupements de libraires », alors qu’au Japon, 28,6 % des municipalités n’ont pas de librairie.
Pour Yasuo Fujita, directeur général adjoint de Kodansha, il s’agit de « la lutte contre le piratage », alors que le Japon subit une prolifération de téléchargements illégaux sur des sites pirates, notamment sur le segment des mangas, dont 72,7 % étaient en 2024 publiés en format numérique : « Nous sommes là pour apprendre de vous, prendre exemple sur ce que vous faites pour l’appliquer au Japon. »
Si bien des combats restent à mener en France, notamment pour imposer le respect du droit d’auteur auprès des développeurs d’outils d’IA générative ou pour la vente de livres d’occasion, il est bon de se (faire) rappeler que nos acquis en la matière font des envieux jusqu’au bout du monde.