16 JANVIER - ESSAI France

Antoine Sfeir- Photo ROLLER/GRASSET

Si la chrétienté s'est déchirée au cours des guerres de religion, l'islam n'est pas en reste en matière de querelles théologiques. La dernière des religions du Livre connaît la discorde sitôt fondée. Tous les musulmans s'entendent sur le fait que le message de Mahomet est bien de Dieu. Mais les interprétations divergent quant à la légitimité de ses successeurs. Soit la dimension transcendante du pouvoir s'éteint avec la mort du Prophète, et c'est la tradition tribale qui prévaut : au plus sage et au plus brave le titre de calife. Soit il y a transmission sacrée, auquel cas c'est au premier "apôtre" et propagateur de la foi qu'échoit le rôle de commandeur des croyants. Du point de vue spirituel, Ali, gendre et cousin du Prophète, converti de la première heure, serait le mieux placé. Pourtant ce n'est pas lui qu'on adoube mais Abou Bakr, vieux compagnon de Mahomet et père d'Aïcha, son épouse préférée. Le deuxième calife, Omar ibn Khattab, est assassiné en 644, le troisième calife, Othman ibn Affan, subit le même sort en 656. Ali succède comme quatrième calife. En dépit de sa réputation de probité, il ne fait pas l'unanimité, certains l'accusent d'avoir commandité le meurtre d'Othman. La Syrie et l'Egypte sont encore sous le contrôle de Mo'awiya, gouverneur de Damas et parent d'Othman. Eclate bientôt la guerre fratricide qui oppose le camp d'Ali - la famille du Prophète - et celui des précédents califes, détenteurs de la tradition. Le premier conflit armé entre musulmans, dite "bataille du chameau", a lieu en 656. L'assassinat d'Ali en 661 par un ultraorthodoxe de la secte des kharidjites précipite la dissension, et Mo'awiya, devenu cinquième calife, fonde la dynastie des Omeyyades. Mais c'est surtout le massacre du fils d'Ali, Hussein, et de sa famille, à Karbala (Irak), qui consomme la fracture. Il est à l'origine du rite de l'Achoura, fête du martyre chiite. Désormais, l'islam se divise entre les sunnites, de sunna, "la tradition", 90 % (du Maghreb à l'Indonésie, en passant par l'Arabie saoudite), et les chiites, de chi'a, "partisans" (d'Ali), 10 % (principalement l'Iran, mais aussi la majorité à Bahreïn et des minorités non négligeables en Irak, en Syrie, au Liban, au Pakistan).

Dans L'islam contre l'islam, Antoine Sfeir insiste sur cette opposition au sein du monde musulman. Pour ce spécialiste du Moyen-Orient, les révoltes au Liban et à Bahreïn risquent de se révéler "plus une rébellion de chiites que d'affamés de liberté". La détestation mutuelle explique que dans la république des ayatollahs à la rhétorique antisémite, on ait pu dénombrer 200 entreprises israéliennes faisant commerce avec un Iran peut-être encore plus farouchement anti-sunnite. Doctrine figée depuis le XIe siècle et absence de clergé chez les sunnites, statut divin de l'imam, effort d'interprétation ou ijtihad, et retour de l'"imam caché" ou Mahdi (messie) chez les chiites, etc. - autant de points de désaccord. Sans compter que parmi les fidèles d'Ali se trouvent des sectes concurrentes : chiites duodécimains, ismaéliens, alaouites de Syrie, alévis de Turquie, druzes du Liban... Un livre essentiel pour avoir un début de compréhension de la géopolitique de cet "Orient compliqué".

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