Albin Michel vient à nouveau de bénéficier de la part des juridictions du bénéfice de la notion de « pamphlet » dans le cadre de poursuites en diffamation. Il s'agit là d'une jurisprudence dont il faut bien saisir la particularité. Une grande partie des mécanismes juridiques de censure s'est construite sous l'Ancien Régime pour lutter contre... le genre pamphlétaire. Anne Simonin a même rappelé (dans « Écrire le politique », publié au sein du collectif Où va le livre ? , La Dispute, 2000)   que le pamphlet est une voix «  qui s'élève pour protester contre un mensonge vécu comme généralisé, proclamer une vérité que les circuits de la bien-pensance s'efforceraient d'étouffer, tout en sachant que, pour nécessaire et juste que soit le combat, il n'en est pas moins perdu d'avance  ». Il n’existe cependant aucune définition juridique du pamphlet : les textes en vigueur en matière de droit de l'information n'y font aucunement référence. En pur droit, il ne s'agit donc en aucun cas d'une « excuse » véritable aux poursuites exercées sur le fondement des délits de diffamation et d'injure tels que prévus par la loi du 29 juillet 1881. Il existe cependant une tolérance traditionnelle de la jurisprudence au profit d'une sorte de « droit de critique », en particulier dans le cadre de la vie politique. Le Tribunal de grande instance de Versailles a ainsi, le 19 janvier 2000, débouté un avocat qui agissait à titre personnel à l'encontre du livre de Thierry Pfister, Lettre ouverte aux gardiens du mensonge. L'auteur et l'éditeur invoquaient la liberté d'opinion dans le cadre du débat d'idées ainsi que le droit de critique. Mais ils arguaient également du «  caractère pamphlétaire  » de l'ouvrage, parfois «  féroce  », «  à l'expression virulente et sans concession  ». Les juges ont suivi cette argumentation pour considérer que «  la force et l'agressivité des mots utilisés dans un tel contexte littéraire doivent être atténuées  », l'auteur s'exprimant «  de manière satirique et acide (...) sans pour autant excéder ce que les outrances du genre satirique permettent  ». La mention de l' «  opinion personnelle  » de «  l'irrévérencieux auteur  » — qui, «  fut-elle exprimée avec violence, n'est pas un délit pour autant  » — est également soulignée à de nombreuses reprises dans cette décision aussi motivée que particulière. C'est ainsi que les magistrats versaillais ont estimé que, «  prise isolément, l'appellation "Jean-Foutre" peut paraître injurieuse ; que dans le contexte satirique d'un tel opuscule, à côté du mot « apôtre », elle est l'expression d'un humour un peu excessif (et) ne peut être réellement qualifiée d'injurieuse  ». La publication du livre de Thierry Pfister au sein de la collection « Lettre ouverte » n'a pas été sans incidence. Le Tribunal a en effet relevé que «  cette collection se veut l'expression d'un style pamphlétaire, par un écrit satirique, de ton et de forme polémiques et agressifs, autorisant certaines outrances pour exprimer son indignation, dénoncer un scandale, osant aller à l'encontre des opinions dominantes, des idées reçues ou des personnages vénérés  ». Il ajoute même que «  la présentation du livre est claire et (...) le lecteur qui choisit de le lire sait qu'il ne s'agit pas d'une analyse objective mais d'un essai réellement engagé, très polémique, dont il sait à l'avance que le contenu sera à prendre avec réserves  ». Selon cette juridiction, «  le lecteur d'un tel pamphlet sait qu'il s'agit d'un écrit caricatural dont il saura relativiser lui-même le caractère volontiers outrancier  ». Cette même collection a bénéficié, le 22 septembre dernier, du même raisonnement, de la part de la Chambre de la presse (la fameuse 17 ème chambre du Tribunal de Grande instance de Paris). Dix passages de la Lettre ouverte aux bandits de la finance , signée Jean Montaldo étaient visés pour diffamation par un homme d’affaires. Or, si les juges retiennent le caractère diffamatoire pour la moitié des imputations litigieuses, ils invoquent pour retenir la bonne foi de l’auteur (et de son éditeur) que l’ouvrage «  s’inscrit dans le genre pamphlétaire  ». Mieux encore qu’il y a onze ans : les magistrats ont accordé cette fois aux prévenus victorieux 5 000 euros de dommages intérêts pour abus de constitution de partie civile. Le pamphlet et les frais : une nouvelle forme de double peine !
15.10 2013

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