Roman/Italie 7 févier Erri De Luca

Avec ce Tour de l'oie, on a le sentiment d'approcher un Erri De Luca familier et d'être invité à partager avec lui une intimité inédite. D'être assis dans sa cuisine et de se tenir près du feu, témoin silencieux d'une conversation à mots ouverts qu'il imagine avec un fils fantôme de quarante ans. Les écouter échanger à la lumière de la bougie, le vin et une tranche de pain à l'huile sur la table, un soir d'orage dans la maison que l'écrivain italien a construite de ses mains, il y a plus de quarante ans. On sait ce que De Luca pense de l'expérience. Il le redit ici à ce fils jamais né : il reste un « apprenti ». Pas de transmission d'expérience donc, mais un relais d'histoires, choisies parmi ses plus précieuses comme celles où il convoque les disparus, son père et sa mère, morte entre ces murs et dont l'écrivain a répandu les cendres sous un pin du jardin. Le fils de papier est d'abord muet puis s'installe un dialogue de plus en plus vivant. L'aîné repasse sur les cases de son passé, comme dans le jeu de l'oie dont le circuit en spirale et le dé hasardeux sont pour lui une image de la vie. « Ce soir je bavarde comme une pie. Je concentre mes histoires pêle-mêle avant que tu disparaisses. » Des histoires condensées, réduites comme une sauce pour en exprimer le suc, le temps d'une apparition. Le père d'un soir élude parfois, mais le plus souvent il approfondit avec franchise tous les sujets qui habitent son écriture, poussé dans ses retranchements par ce fils chimérique qui ne s'en laisse pas conter, le soupçonne de l'idéaliser, le traite d'« apocalyptique » ? Un fils un peu provocateur qui le met face à ses ambiguïtés, au sujet de cette foi qui lui a toujours été inaccessible : « Tu n'es pas loin de croire à un créateur qui te parle à travers différents signes. » De questions en digressions, la discussion a parfois l'intonation affectueuse d'une confidence, d'un conseil détourné mais sans valeur d'exemple, l'apparence d'un bilan sans regrets, jamais d'une leçon définitive. Pas la forme d'un testament non plus. C'est réel et sérieux comme un jeu de rôle, un tour de cirque. « J'aime le mot illusion du latin in ludere, entrer dans le jeu. »

Erri De Luca
Le tour de l’oie - Traduit de l’italien par Danièle Valin
Gallimard
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 16 euros ; 176 p.
ISBN: 9782072822544

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