23 août > Roman France > Pauline Dreyfus

Le 22 mai 1968, un mercredi, en pleine "chienlit", c’est la panique à l’hôtel Meurice. Comme les autres palaces parisiens, la maison est touchée par les "événements". Le personnel n’est pas en grève, mais a voté l’autogestion. Le directeur est placardisé. Et les approvisionnements fort aléatoires. Dans ces conditions, le déjeuner du cinquième prix Roger-Nimier, mécéné par la milliardaire américaine Florence Gould, qui vit sur place à l’année depuis douze ans, pourra-t-il avoir lieu ? Et les jurés, parmi lesquels Morand, Chardonne, Jacques Brenner, Blondin, Bernard Frank, Jouhandeau et Jean Chalon, seront-ils présents ?

La matinée se passe dans l’angoisse. Et puis les employés décident de réagir. Question d’honneur, de dignité, de conscience professionnelle. Le chef, même, préparera un vrai repas de fête, et non cette tambouille de régime que la mécène excentrique et tyrannique, qui buvait bien plus qu’elle ne mangeait - et lisait -, exige d’ordinaire. Cette fois-ci, les convives, rejoints par quelques clients de l’hôtel, histoire de gonfler les rangs (Salvador Dalí et Gala, par exemple, autres pensionnaires, ou J. Paul Getty), ne sortiront pas de table affamés !

Au café, le prix de 5 000 F, somme coquette à l’époque, est remis par Paul Morand (pas encore académicien, à cause de la résistance du général de Gaulle) à un inconnu de 23 ans, un grand garçon timide et pauvre, un certain Patrick Modiano, pour son premier roman chez Gallimard, La place de l’Etoile. Le jeune écrivain balbutie quelques remerciements, évoque le général von Choltitz au Meurice, pendant la guerre (lorsqu’il a refusé de détruire Paris), puis quand il y est revenu incognito, plus tard, comme s’il avait assisté à la scène.

C’est la même chose avec Pauline Dreyfus, qui raconte ce "jour des fous" comme si elle avait été là, en centrant le récit sur les employés de l’hôtel. L’idée est plutôt séduisante, mais cela nous vaut un début de livre un peu laborieux. On a hâte, nous aussi, de passer à table. Heureusement, le comique des personnages et des situations (Florence Gould bourrée, un vieux notaire mourant, qui a connu Dora Bruder en 1941, ressuscite grâce à la littérature, l’ocelot chéri de Dalí, Babou, qui bouffe Charmeuse, l’un des quatre pékinois de l’Américaine, etc.) fait passer le menu.

A la fin, Hubert le stagiaire, petit-fils du propriétaire, part avec la call-girl d’un ministre, le directeur retrouve son fauteuil et le lecteur a l’impression d’avoir visité une espèce de Jurassic Park littéraire. J.-C. P.

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