« Après 25 Assises du livre numérique, c’est une nouvelle formule que nous inaugurons aujourd’hui (...) parce que le moment impose que nous prenions la mesure de l’ensemble des mutations en cours ». C’est par ce message que Renaud Lefebvre, directeur général du Syndicat national de l’édition (SNE), a inauguré ces Nouvelles assises du livre et de l’édition, organisées jeudi 4 décembre à la BnF François-Mitterrand et placées sous le thème « Le pouvoir des livres ».
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Alors que les chiffres du secteur montrent un recul imputable à de multiples facteurs - baisse de la lecture, essor du marché de l’occasion, progression du piratage en ligne ou encore montée des inquiétudes liées à l’intelligence artificielle -, ces Nouvelles Assises ont toutefois tenu à rappeler la résilience et le pouvoir des livres, thématique au cœur de cette nouvelle édition. « C’est un geste fort, d’abord de confiance, celui d’une conviction viscérale : le livre transforme les existences, les idées, les sociétés », a souligné Renaud Lefebvre.
« La grande vague numérique s'est heurtée à notre volonté de s'organiser pour préserver la diversité et l'accès au livre »
Florent Souillot, président de la commission numérique du SNE depuis mars dernier, a lui aussi rappelé la capacité du secteur à se mobiliser collectivement pour faire face aux mutations : « Près de 20 ans après la création des Assises du numérique, la grande vague numérique a eu lieu, mais elle n’a pas noyé l’édition. Elle a changé notre vie quotidienne, mais elle s’est aussi heurtée, dans notre secteur, à notre volonté de s’organiser collectivement pour préserver la diversité éditoriale et l’accès au livre. »
S’interrogeant en tant qu’auteur sur les défis de la vulgarisation, Étienne Klein, physicien et philosophe des sciences, a toutefois tenu à alerter ses confrères et consœurs sur « la puissance du faux », à l’ère du règne des algorithmes. Face à la saturation de contenus, l’auteur s’est en effet inquiété d’une époque où « la liberté est placée bien au-dessus de la vérité », au risque de fragiliser les fondements démocratiques. « Mais la transmission d’une connaissance suppose qu’elle soit assimilée, ce que ne peut l’IA », a-t-il rappelé, soulignant qu’aucun autre outil que le livre n’a cette capacité à nuancer, articuler et mettre en perspective le savoir.
Comme lui, plusieurs autres intervenants ont rappelé la puissance performative du livre sur le réel. Ainsi, Sophie de Closets (Flammarion), Stéphanie Chevrier (La Découverte), Cécile Boyer-Runge (Points) et Pascal Thuot, directeur général de la librairie Millepages, ont rappelé combien certains titres, en marquant leur époque, ont contribué à infléchir le débat public.
« La fiction, c’est du réel autrement »
Revenant sur les coulisses de publications qui ont d’ailleurs connu des ventes exceptionnelles, telles que La Familia Grande de Camille Kouchner (Seuil), les intervenants ont ainsi illustré comment un récit incarné peut contribuer à lever le tabou - ici de l’inceste -, et provoquer une onde de choc à l’échelle de la société. Même chose avec Les Fossoyeurs de Victor Castanet (Fayard), qui, en dénonçant les maltraitances et dérives dans les Ehpad, a remis en cause un système entier, au point de conduire à des réformes juridiques.
Quant à la collection « Points féminismes », Cécile Boyer-Runger a montré comment des textes collectifs ou individuels ont permis de faire sortir un sujet de la sphère intime pour le propulser dans l’espace médiatique et politique. À ce titre, le travail de Fabrice Arfi fait également office d’exemple dans la diffusion, à grande échelle, de sujets de société, grâce, cette fois-ci, à un autre levier complémentaire : l’adaptation audiovisuelle. Ainsi, le journaliste de Mediapart, auteur d’enquêtes majeures – de l’affaire Bettencourt à celle dite « Karachi » –, a raconté comment D’argent et de sang (Seuil, 2018), qui a révélé la grande arnaque des quotas carbone, a donné naissance à la série éponyme de Xavier Giannoli, diffusée sur France 2.
« La fiction, c’est du réel autrement », a-t-il expliqué, estimant que certaines enquêtes « doivent franchir les murs de la rédaction » pour résonner dans le débat public et participer pleinement à « la bataille démocratique ». Ici, le livre est encore le premier maillon d’une chaîne culturelle dont l’audience s’étend à chaque nouvelle passerelle entre les différents supports. Une circulation qui peut également contribuer à raviver l’intérêt pour la lecture. « 75 % des moins de 20 ans qui sortent d’un film adapté veulent lire le livre », a ainsi rappelé Valérie Barthez, directrice générale de la Scelf.
Des collaborations vertueuses entre les supports
Dans une période où les entrées en salle peinent à retrouver leur niveau d’avant-crise, cette dynamique bénéficie alors autant aux éditeurs qu’aux salles de cinéma. « Depuis le Covid, les spectateurs ont tendance à aller voir ce qu’ils connaissent déjà », a observé Mathilde Meyer, conseillère Développement et Acquisitions chez Pathé.
À ce titre, le succès du Comte de Monte-Cristo s’est fait le témoin de cette collaboration vertueuse : tandis que les exploitants ont capitalisé sur la notoriété d’un classique littéraire, son adaptation audiovisuelle grand public a également favorisé sa remise en avant en librairie. Preuve, là aussi, qu’à travers ses multiples vies - du texte à l’écran, puis de l’écran au texte -, le livre continue de circuler et de rassembler.
