31 OCTOBRE - ESSAI Espagne

Toute la trajectoire de Jean Genet (1910-1986), vie et oeuvre mêlés, avec les précautions qui s'imposent face à un écrivain mythomane, peut être lue comme une entreprise de provocation. De perversion des valeurs occidentales, rejetées en bloc dès sa jeunesse. Pour lui, le pou est un bijou, et l'ignominie confine à la sainteté. La fuite, le vol, la prostitution, le mensonge, la violence sont ses titres de gloire.

C'est cette grille de lecture et d'analyse qu'a choisie l'écrivain espagnol Juan Goytisolo (né à Barcelone en 1931), qui fut un ami de Genet, de 1955 à sa mort. Bien qu'ils se soient toujours voussoyés, Jean exerça sur Juan une influence décisive, l'encourageant à se radicaliser dans ses propres combats. Ainsi, ce n'est pas un hasard si Goytisolo a assumé, sur le tard, son homosexualité, ni s'il est parti vivre à Marrakech. Un rejet viscéral et radical de l'Occident au profit de l'Orient, autre point commun entre eux. Genet, on s'en souvient refusa, d'être enterré en terre française. Il aurait pu choisir de reposer à Barcelone, dans ce Barrio Chino où il séjourna au début des années 1930, s'adonnant au vol et à la prostitution. Mais il a opté pour le Maroc, le vieux cimetière espagnol de al-'Arâich (ou Larache), où sa tombe est devenue un véritable lieu de pèlerinage.

Genet, selon Goytisolo, était proche de la mâlamiyya, le "blâme" prôné par certains mystiques soufis, et pourrait bien être considéré un jour comme un saint (walâ) par les musulmans. Notamment les Palestiniens, dont il se fit le paladin dans son dernier livre, Un captif amoureux, paru posthume en 1986. Comme il avait un temps adopté la cause des Black Panthers. Un livre difficile. "Son chef-d'oeuvre", dit Goytisolo, qui le défendit lors de sa parution, alors qu'il était violemment attaqué par une certaine partie de la critique, et que son auteur n'était plus là pour riposter.

Juan Goytisolo rassemble aujourd'hui les quatre essais qu'il a consacrés à Genet, augmentés des quelques lettres de leur correspondance qu'il a retrouvées : sept seulement, de 1958 à 1974. Les autres, il les a perdues dans ses pérégrinations. Lettres familières, où Genet n'hésite pas à se lâcher. Ainsi, durant un de ses séjours à Tanger, il tempête : «la Méditerranée, [...] civilisation de l'olivier, culte de la virilité, comme tout ça me fait chier !". Pour être un saint soufi, il faut savoir se renier soi-même.

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