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Le peintre et la procureure

Tan Twan Eng - Photo LLoyd Smith/Flammarion

Le peintre et la procureure

Une magistrate sino-malaisienne, ancienne victime de l’occupation nippone, souhaite un jardin à la mémoire de sa sœur, un artiste japonais s’en charge. Une histoire d’amour et de rédemption signée Tan Twan Eng.

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Par Sean James Rose
Créé le 25.03.2016 à 00h30 ,
Mis à jour le 01.04.2016 à 13h56

Quand la juge Teoh informe qu’elle va se retirer trois ans avant l’âge de la retraite, on s’en émeut. On rend hommage à l’une des premières femmes à siéger à la Cour suprême de Malaisie, nommée en 1949 procureure chargée d’enquêter sur les crimes de guerre perpétrés par les Japonais durant la guerre. L’horreur des camps de prisonniers, la privation de nourriture, les vexations, les violences. Teoh Yun Ling en sait quelque chose. Ses deux doigts manquants en sont les stigmates, et une sœur aînée, Yun Hong, y a laissé la vie. Yun Hong avait pourtant adoré le Japon et son art du jardin, lors d’une visite au pays du Soleil-Levant avec leur père, riche homme d’affaires sino-malaisien, juste avant le conflit. Yun Hong eût tant aimé faire son propre jardin japonais en Malaisie. Aujourd’hui, il existe. Yugiri : le jardin des Brumes du soir, à 200 km de Kuala Lumpur, et "à onze de Tanah Rata, le deuxième des principaux villages bordant la route qui montait vers les Cameron Highlands", raconte Yun Ling, l’héroïne de Tan Twen Eng, qui se tourne une dernière fois vers ce jardin qui n’a cessé de l’habiter. Deux raisons la poussent. Un historien japonais, de ceux qui sont intègres et n’ont cessé de dénoncer les exactions de l’armée impériale dans les pays asiatiques occupés, s’intéresse à l’artiste Nakamura Arimoto, installé et mort dans ce coin du monde, il a sollicité celle qui est la légataire de ses estampes. Le maître de l’ukiyo-e, la peinture du "monde flottant" (scènes courtoises des quartiers de plaisir) avait conçu le jardin des Brumes du soir. Yun Ling est atteinte d’une maladie du cerveau et commence à oublier, le temps presse.

Dans son deuxième livre, mais le premier traduit en français, le romancier malaisien d’origine chinoise Tan Twan Eng se fait, par le truchement d’une narratrice à l’heure des bilans, le guide culturel d’une Malaisie qu’on méconnaît souvent. Quand, à la fin de la guerre, la procureure pleine de haine envers ses bourreaux rencontre Arimoto l’ancien "jardinier de l’empereur" pour lui demander de faire un jardin à la mémoire de sa sœur, quelque chose se passe de l’ordre de l’indicible. L’art du peintre va bouleverser son existence jusqu’à pénétrer sa peau (Arimoto est aussi tatoueur). Et le didactique de s’allier au romanesque : dans le jardin des Brumes du soir poussent minutieusement alignées de jolies fleurs bleues. S. J. R.

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