Poésie/Etats-Unis 2 janvier John Freeman

La poésie entretient un rapport intime avec la réalité. John Freeman le rappelle avec justesse. Le titre de son premier recueil aussi : Vous êtes ici. Sous la désignation du lieu, il s'agit donc bien d'ancrer le lecteur dans le réel, celui qu'il perçoit et celui où il se trouve. « On écoutait le rien devenir quelque chose. » Quelle meilleure définition pourrait-on donner de la contemplation ? C'est dans cette attente que le poème prend forme et que les mots s'ajustent.

Dans ses poésies, le rédacteur en chef du site Lit-Hub dévoile ses influences multiples. Celles de la Beat generation sans doute - après tout, il est américain -, mais aussi les surréalistes qui ont traficoté le langage pour l'élever à la hauteur de leurs rêves. « Le coiffeur approche une lame de mon cou et taille jusqu'à ce que ma tête devienne aussi lisse et parfumée qu'un passé qui ne serait pas passé, mais présent. » Derrière l'image forte, il y a peut-être un souvenir de l'armée. Mais il y a surtout le secret de la juxtaposition des mots. « On a la rage de créer, de nommer, de redessiner le monde. »

Le critique littéraire, qui a longtemps dirigé la revue Granta à Londres, est à l'aise dans les figures courtes pour dire le quotidien, la justice, la misère, les guerres, l'amour quand même et la mort quelquefois. Ainsi, cette jeune femme qui envoie par téléphone une photo d'un cimetière de Denver. « Regarde, John, on est morts. » Ou encore ce texte intitulé « Paris, 14 juillet » où il est toujours question de dire ce qui nous entoure pour chercher à le comprendre. « Nous vivons sur les terres crépusculaires du langage. Ceci n'est pas un invité, ceci est un étranger. »

La poésie se montre ici comme autobiographie morcelée, comme un miroir brisé dont les morceaux ne pourront jamais être recollés pour reconstituer la glace d'origine. « Souviens-toi des plus beaux noms du monde. Ecoute le long et puissant sifflement qui chante dans l'interstice entre ce qui est et le nom que nous lui donnons. » Avec la détermination de ceux qui savent où ils veulent aller, John Freeman emprunte cette voie étroite entre ce qui est vraiment et ce que l'on désigne comme tel.

Vous êtes ici. Le doigt est délicatement posé là où ça dérange. Ah bon, nous sommes là ? Vraiment ? On pense évidemment aux plans qui indiquent où nous sommes sans nous expliquer où nous allons. Le but de cette cartographie de l'âme élaborée dans ce recueil est un peu différent. Elle nous dit ce que nous sommes au moment où nous le sommes. Pour le reste, à chacun sa route. « L'espoir est une question d'habitude. » C'est joliment dit et cela a du sens. Le monde est certes indomptable, ce qui ne veut pas dire insupportable. Pour le voir autrement, il faut se saisir de ce qui s'efface et faire de ce labyrinthe des choses perdues un chemin de promesses. On ne voit pas qui d'autre qu'un poète pourrait se perdre dans de tels espoirs.

John Freeman
Vous êtes ici - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Ducrozet
Actes Sud
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 15 euros ; 112 p.
ISBN: 9782330117726

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