Réseaux sociaux

Le 3 janvier dernier, Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, promettait de lire un livre tous les quinze jours en 2015, puis de partager ses impressions sur une page intitulée "A Year of Books", pour que l’ensemble de sa communauté puisse échanger autour des livres sélectionnés. Fort impact promotionnel prévisible, le premier roman choisi, The end of power du Vénézuélien Moisés Naím (Basic Books), s’est retrouvé en rupture de stock sur Amazon en l’espace de quelques heures. Six mois et près de 500 000 "like" plus tard, les 15 livres sélectionnés par ce club de lecture en ligne ont tous connu des succès éditoriaux.

Par cette initiative favorisant le dialogue sur Internet autour d’un livre, le fondateur de Facebook surfe sur un phénomène planétaire : la multiplication des communautés en ligne de lecteurs. Héritiers des salons et des clubs de lecture, ces réseaux sociaux du livre "jouent avant tout un rôle prescripteur, comme une table de libraire dématérialisée", explique Louis Wiart, universitaire auteur d’une thèse consacrée aux réseaux socionumériques de lecteurs et à la prescription littéraire sur Internet.

Jusqu’à présent, ces communautés de lecteurs s’exprimaient soit par le biais de sites amateurs ou de blogs personnels (Critiqueslibres.com, Livraddict…), soit par des réseaux plus importants adossés directement à des grands groupes professionnels : Decitre avec Entrée Livre, Chapitre avec Bookinity, tous deux aujourd’hui disparus, ou encore Hachette avec MyBoox et Lecture Academy, et Orange avec Lecteurs.com. Mais ces dernières années, Louis Wiart note une réelle "industrialisation et une professionnalisation du secteur", et la multiplication de "petites structures, prenant bien souvent la forme de start-up, fondées par de jeunes entrepreneurs".

 

Une dimension sociale et collaborative

Les premiers réseaux sociaux dédiés aux livres, s’inscrivant dans la logique du Web participatif, ont éclos il y a une quinzaine d’années, sous l’impulsion de pionniers comme Zazieweb, site personnel où de 1996 à 2009 les lecteurs ont laissé leurs impressions. Dans son sillage sont nés d’ambitieux sites internationaux, acquis souvent par la suite par des géants du Web, comme Good- reads (racheté par Amazon en 2013), Librarything (détenu à 40 % par Amazon), Anobii (propriété du groupe Mondadori) ou encore le leader français Babelio qui séduit près d’un million de visiteurs uniques par mois selon Médiamétrie (3 millions selon l'éditeur). Aujourd’hui, le phénomène de la lecture "sociale" se renouvelle, et prend désormais la forme d’applications mobiles que l’on peut télécharger sur son smartphone. "Il y a actuellement une dynamique certaine en France quant au lancement de nouvelles applications de lectures sociales, qui viennent renouveler le marché des sites établis depuis dix ou quinze ans, note Robin Sappe, cofondateur de l’application Booxup. Nous passons du stade des simples avis de lecteurs partagés en ligne à une véritable dimension sociale et collaborative de la lecture en tant que telle."

Une vision que partage Nicolas Princen. Après une première vie comme conseiller Web pour la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012, celui-ci a cofondé l’application Glose. "Aujourd’hui, on ne sociabilise plus en ligne autour du contenu littéraire mais bel et bien à l’intérieur de celui-ci, via des applications mobiles, explique-t-il. Le contenu et le commentaire ne sont désormais plus séparés, et nous pensons que l’avenir appartient aux réseaux sociaux se situant directement dans le livre." Lui-même définit son application, lancée dans le monde anglo-saxon fin 2014, comme une plateforme globale de lecture sociale : "nous proposons un service de librairie en ligne qui se double d’un outil de lecture, puis d’un réseau social intégré pour sauvegarder, annoter et partager ses lectures avec la communauté". L’utilisateur achète ainsi un ebook sur Glose et au fil de la lecture peut ouvrir les commentaires ou phrases préférées des autres membres de la communauté ayant acquis le même livre. Une certaine idée de la "lecture du futur", selon Nicolas Saubin, cofondateur de l’application Collibris, qui sortira sur le marché français dans les prochains mois, et qui veut être la solution commune à plusieurs problématiques : "Comment organiser sa bibliothèque ? Comment partager les commentaires ? Comment trouver sa prochaine lecture parmi les milliers d’œuvres publiées chaque année ?"

 

Prendre la température

François Rochet qui a cofondé, il y a bientôt deux ans, l’application Bookweather, a "simplement voulu adapter le principe du bouche-à-oreille, principal moteur de la découverte de livres, au format d’une application mobile. Notre credo : rendre le livre vivant, par la communauté qui le lit". Le fonctionnement de son application s’appuie sur les comportements humains avant tout : la cote du livre s’exprime en degrés Celsius, en fonction de l’intérêt que lui portent les lecteurs en temps réel. La température peut donc fluctuer de 0 à 50°. Centré aussi sur le livre papier, Booxup, de son côté, veut rendre sa circulation aussi facile et virale qu’un tweet, en permettant, via un système de messagerie, aux personnes partageant les mêmes goûts littéraires de se mettre en relation. "Un vrai Tinder [application de rencontres géolocalisées, NDLR] des intellos", plaisantent ses fondateurs, qui ont installé leur bureau dans une chambre d’hôtel, et pas n’importe lequel : La Lousiane, au cœur de Saint-Germain-des-Prés, où l’écrivain Albert Cossery a vécu pendant cinquante-six ans.

Toutes ces jeunes entreprises françaises tentent, via le virtuel, la géolocalisation et l’algorithme, de provoquer autour d’un livre un échange réel entre les lecteurs. Si chacun essaie, à sa façon, d’inventer le futur de la lecture, tous se rejoignent sur la place qui doit être la leur : en complément et conjointement au travail des librairies et des éditeurs. La plupart mettent à disposition de leurs utilisateurs des liens vers des librairies en ligne ou indiquent les disponibilités dans certains points de vente. "L’essentiel aujourd’hui reste d’aller conquérir les lecteurs là où ils sont, c’est-à-dire sur Facebook, et de les amener au livre via les réseaux sociaux", estime Nicolas Princen. Pour faire rayonner le livre à sa juste valeur dans l’environnement numérique actuel.

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