22 SEPTEMBRE - HISTOIRE France

Il s'appelait Jean-Charles-Pierre Lenoir (1732-1807). A vrai dire, on l'avait un peu oublié. L'année dernière, dans son ouvrage consacré aux Ripoux des Lumières (Seuil), l'historien Robert Muchembled avait sorti des archives, où il purgeait une peine bien longue, ce lieutenant général de police du XVIIIe siècle. Il indiquait combien l'homme était filou et faisait référence à ces fameux Mémoires où tout était à prendre avec des pincettes.

Vincent Milliot s'est muni des instruments adéquats et voici donc l'intégralité de ce document exceptionnel sur le Paris de la Révolution, et pas seulement celui des bas-fonds. Dans les quatre cents pages qui précèdent l'édition de ces Mémoires, l'historien s'emploie à reconsidérer le portrait peu flatteur de ce "policier des Lumières". Il y montre un "conservateur éclairé" qui envisageait son travail comme la garantie d'un "bien vivre ensemble".

Donc, si Lenoir ne fut pas si noir, il n'en éprouva pas moins une véritable obsession pour le corps social. Un corps qu'il voulait protéger pour ne pas le voir trop bouger. Cela explique son rôle dans la guerre des Farines, en 1775, qui l'opposa à Turgot. Il avait compris que la libéralisation des prix entraînerait une hausse qui conduirait le peuple dans la rue. On connaît la suite...

A la tête des flics parisiens, Lenoir adoptera une double méthode : connaître pour contenir, surveiller sans trop punir. Pour cela, il lui faut des auxiliaires - Beaumarchais sera l'un d'eux - et mettre en place tout un maillage pour maîtriser l'approvisionnement, contrôler le commerce, traquer les rapines et interdire les "mauvais livres". Cet homme qui possédait plus d'un millier d'ouvrages dans sa bibliothèque, dont l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, se fera ainsi un devoir de censurer l'imprimé.

Comme dans les Mémoires de Vidocq, on se prend à croire que tout ce qui est écrit est vrai. Mais Lenoir avait pris avec l'histoire quelque liberté, celle qu'il interdisait aux pamphlétaires. Entre le traité sur la police et l'apologie de la police, il défend sa conception personnelle et hygiéniste de l'ordre social qui consiste à espionner tout le monde pour protéger chacun...

Au-delà du tableau historique, avec ses portraits de quelques embastillés célèbres comme Latude, ces Mémoires ont encore des choses à nous dire sur la machine policière dans une ville qui comptait alors 700 000 habitants. Il faut donc saluer le travail admirable de Vincent Milliot et des éditions Champ Vallon pour avoir tiré des 2 673 feuillets conservés à la bibliothèque municipale d'Orléans ce document inachevé mais passionnant.

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