Elles ont redéfini les contours de la littérature jeunesse québécoise. Fondées en 1995 par Serge Théroux, les éditions 400 coups célèbrent en 2025 trois décennies d’aventure éditoriale. D’abord incubateur de talents méconnus, la maison a affirmé au fil du temps une ligne éditoriale où humour et profondeur s’entremêlent. Une approche audacieuse qui lui a valu une reconnaissance internationale, jusque dans les plus grandes manifestations littéraires.
« Les éditions 400 coups sont d’abord nées de l’envie d’offrir une place à ceux qui n’en avaient pas », rappelle Simon de Jocas, visage et tête pensante de la maison d’édition depuis 2013. Mais à l'époque, cette approche montre vite ses limites, la maison allant jusqu’à lancer une vingtaine de collections jeunesse, et tout autant pour les adultes. « Il y avait tellement d’options que les librairies peinaient à identifier et définir la ligne éditoriale ! », se souvient le dirigeant actuel.
Un nouveau souffle
Secouée par son rachat en 2008 par le groupe Caractères, la maison connaît quelques errances avant de renaître sous l’impulsion de Simon de Jocas, cinq ans plus tard. Alors représentant pour le groupe Beauchemin, dirigé par Guy Frenette, l’ancien enseignant et conseiller pédagogique reprend l’affaire. Il rachète alors l’ensemble des parts de la maison, se délestant au passage des titres hors jeunesse pour clarifier la ligne éditoriale et insuffler une nouvelle dynamique aux 400 coups.
« À l’époque, je décide de passer de 27 collections jeunesse à quatre », fait savoir Simon de Jocas. Deux premières marques éditoriales à l’identité affirmée émergent : « Grimaces », une collection d’albums portés par un humour irrévérencieux, et « Carré blanc » qui rassemble des titres invitant à des réflexions d’ordre social et sociétal. « On m’a souvent dit qu’il fallait être audacieux pour proposer des livres comme ceux-là, tantôt drôles, tantôt difficiles, avec des thématiques telles que le harcèlement, le suicide ou l’aide médicale à mourir », rapporte le patron de la maison.
Des collections à l'identité marquée
En 2015, Le Hareng rouge, grand album cartonné sans texte, entièrement illustré par Alicia Varela se présente comme une curiosité éditoriale. Au point de nécessiter une place à part entière dans le catalogue de la maison. Simon de Jocas inaugure alors la collection « Hop-là », vivier de titres « hors-norme » qui se démarquent tant par leur format atypique que pour leur contenu hors-champs.
À cette époque, l’éditeur doit aussi se faire connaître de l’interprofession. Il entame alors une tournée dans une vingtaine de librairies québécoises et les interroge : « Que pensez-vous des éditions 400 coups ? » Au fil des échanges, Simon de Jocas réalise que les libraires ont été marqués par une ancienne collection, « Mémoire d’images » qui, de Jacques Cartier à l’immigration en Amérique, entend mettre entre les mains des jeunes lecteurs les images du passé.
Si cette collection fait son grand retour en 2017, une autre, encouragée par Rhéa Dufresne, bras droit du patron des 400 coups et autrice chez Ricochet, Bayard ou encore les éditions du Rouergue, a émergé deux ans plus tôt. Intitulée « Mes premiers coups », elle édite uniquement des albums tout-carton, de « vraies bonnes histoires » pour les tout-petits.
Quant aux créations sans faction, elles sont désormais réunies dans la collection « 400 coups », un ovni éditorial au sein duquel prospèrent des œuvres telles que Sous la pluie de Catherine Buquet et Marion Arbona, prix littéraire des enseignants Aqpf-Anel, ou encore Chaque petit geste de Marta Bartolj et Marie-Andrée Dufresne, lauréat, cette année, du prix des librairies du Québec.
« Il faut que la communauté livresque rappelle que les albums ne sont pas enfantins »
Plus récemment, en 2021, Simon de Jocas a créé la collection « Les grandes voix », rassemblant des textes poétiques, des discours ou des chansons ayant marqué les époques et le monde, à l’instar de Quand les hommes vivront d’amour, chanson québécoise signée Raymond Lévesque, illustré ici par Pierre Pratt. « Chaque texte est accompagné d’illustrations qui lui apportent de nouvelles interprétations », complète l’éditeur.
Seule collection du catalogue à assumer pleinement vouloir brouiller les frontières du public-cible d’origine en séduisant les petits comme les grands lecteurs, « Les grandes voix » donne corps à une conviction plus personnelle de Simon de Jocas : « On nous a socialement inculqué l’idée que l’album s’adresse uniquement aux petits. Pour ma part, j’essaye d’expliquer que certains de nos titres seraient parfaits en classe pour une première introduction à des textes comme la trilogie berlinoise de Philippe Kerr ou Le journal d’Anne Franck, par exemple. Il faut que la communauté livresque en arrive à rappeler que les albums ne sont pas enfantins ».
Bien que les réticences et les a priori restent nombreux, il semblerait toutefois que ces considérations gagnent du terrain. Pour la maison, la reconnaissance ultime de sa transversalité et de la plus-value éditoriale de ses titres au sein du secteur jeunesse s’est illustrée en 2020, avec l’obtention du prix BOP du meilleur éditeur jeunesse en Amérique du Nord, décerné lors de la Foire du livre jeunesse de Bologne.
Un rayonnement à l'international
Il faut dire que Simon de Jocas a travaillé d’arrache-pied pour gagner en visibilité par-delà les frontières. En faisant le choix d’un catalogue 100 % francophone (65 % d’auteurs canadiens, 25 % d’auteurs français et 15 % d’auteurs internationaux) l’éditeur a misé sur une économie de l’exportation depuis le Québec. L’ensemble du catalogue de la maison est diffusé et distribué en France via Interforum, tandis qu’entre 15 à 25 cessions de droits sont conclues chaque année, avec des pays tels que le Canada anglophone, le Vietnam, la Corée du Sud, la Chine, l’Espagne ou l’Italie.
Mais Simon de Jocas ne s’est pas arrêté pas là. Pour trouver sa place sur un marché français déjà bien rempli, il a organisé plusieurs tournées en librairies, parcourant jusqu’à 4 500 kilomètres à travers le territoire français, avant de visiter la Suisse et la Belgique. « Nous sommes également présents dans tous les grands salons d’Europe francophone, Au total, les 400 coups sont « physiquement » présents plus de 10 à 12 fois par an sur le territoire franco-européen », ajoute-t-il.
Fortes d’un catalogue de plus de 500 titres – dont plus de 230 ont été sélectionnés ou primés – et d’un chiffre d’affaires de 2,4 millions de dollars (ventes brutes), il semblerait que les éditions Les 400 coups n’aient plus grand-chose à prouver. Pourtant, pour Simon de Jocas, tout ceci n’est que le point de départ d’une ambition plus vaste : « Donner à chaque enfant son livre ».