19 AVRIL - HISTOIRE France

Bourgeois. Voilà un mot guère apprécié et même déprécié. Au temps de Louis XIV, Saint-Simon parlait de "règne de vile bourgeoisie". Mais qu'en était-il au Moyen Age, l'époque où apparaît le mot (XIIe siècle) pour désigner cette nouvelle classe urbaine ? C'est ce que nous propose d'explorer Jean Favier.

Jean Favier- Photo DR

L'auteur n'est pas un inconnu pour tout amoureux du Moyen Age ou de Paris. Ancien directeur des Archives nationales et ancien président de la Bibliothèque nationale de France, ce médiéviste réputé a signé quantité d'ouvrages dont un fameux François Villon (Fayard, 1982) et, plus récemment, un travail remarqué sur Pierre Cauchon : comment on devient le juge de Jeanne d'Arc (Fayard, 2010) qui nous en disait beaucoup sur les intellectuels de cette époque. De Cauchon aux bourgeois, voilà qui aurait enchanté Brel...

Ancien chartiste, Favier sait tirer tout le suc des documents et le récit qu'il en fait, nous invite à observer l'émergence d'un monde. A 80 ans, l'historien se promène toujours dans le Moyen Age avec familiarité. Il nous rappelle qu'il n'y a pas de bourgeois sans bourg, de bourgeois sans ville. Or la ville, ce n'est pas simple. De saint Louis à Louis XI, il indique comment les bourgeois ont participé au recul de la féodalité - ils prendront la tête du tiers état en 1789 - en installant un ordre différent. Ce n'est plus l'épée mais l'or qui fait le pouvoir.

Ni élu ni nommé, le bourgeois est reconnu comme tel car il est membre du corps social dirigeant. Il ne s'agit pourtant pas d'un groupe soudé. La seule solidarité qui s'y manifeste est celle des marchands et le maintien des privilèges accordés par le roi.

A l'origine, le bourgeois fait un pas de côté dans son époque avant de s'y inscrire. Il y trafique des marchandises avant d'y trafiquer de l'influence. Jadis décalé, le bourgeois devient notable. Ses activités économiques et financières lui confèrent puissance et prestige. Avec cette nouvelle classe sociale et ce statut qui s'est formé dans le Bassin parisien grâce à l'importance stratégique de la Seine, Paris devient la tête pensante du royaume.

Le bourgeois de Paris au Moyen Age peut être aussi appréhendé comme un livre de méthode historique. Jean Favier montre comment on exploite une documentation et un sujet. Jusqu'au bout. Ceci afin d'expliquer le fonctionnement d'une cité, dans toutes ses composantes, de la faire voir au quotidien, dans ses travers, dans ses tavernes, avec ses grands notables comme Etienne Marcel ou ces Parisiens qui subissent ces transformations.

Désormais, le roi a besoin de ses bourgeois pour organiser et tenir la ville, et les bourgeois en profitent pour donner plus de poids au monde des affaires. C'est là un des paradoxes soulevés par l'ouvrage. Le bourgeois contribue à l'amélioration de la démocratie mais, par la spéculation et la prévarication, il donne à l'argent une autorité dont nous constatons toujours les effets. Ce n'est pas le moindre mérite de Jean Favier de nous raconter l'installation de ce nouveau monde. Il n'est pas du genre à lâcher son sujet. Ni ses lecteurs d'ailleurs...

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