Faire rire est un art délicat. " L'humour, c'est comme les scènes de sexe : c'est très difficile à écrire. Nous ne sommes pas émus par les mêmes choses ", résume Camille Racine, éditrice chez Robert Laffont. Comme le raconte Joël Dicker, dans une interview parue sur livreshebdo.fr le 27 février, " L'humour, c'est tellement difficile... Je m'y essaie depuis très longtemps, parce que j'adore ça. Mais j'ai toujours tout coupé à la relecture. Quand on écrit quelque chose de drôle, on se dit tout d'abord : "Ah tiens, c'est marrant" et on rit. La première fois qu'on relit, c'est déjà moins drôle. On connaît la chute de la blague. Et puis la fois suivante, ce n'est plus drôle du tout et on coupe. Cette fois, j'ai dû conserver la réaction du premier moment, me faire confiance, et aller de l'avant sans couper tout le temps. "
Difficulté n°1 : savoir adapter son humour
Le potache, l'absurde ne font pas marrer tout le monde. C'est compliqué de savoir ce qui va faire rire le lectorat ", pointe Bénédicte Lombardo du Seuil, rejointe par Nicolas Beaujouan de 404 Graphic : " Pour de nombreux genres, c'est plus simple de comprendre l'appétence des gens, alors que l'humour est plus intime, le curseur plus difficile à positionner. C'est déjà assez compliqué comme ça d'accompagner un livre vers sa réussite, les éditeurs reculent au moindre doute. " Pour Jean-Philippe Garçon, de 6 Pieds sous terre, l'humour serait néanmoins plus fédérateur que le polar ou la SF. Ce qui fonctionne à la librairie Sacrés caractères, à La Crau (Var) : les auteurs drôles ET locaux. Comme le justifie la libraire Cécile Lemaire, " le rayon régionaliste fonctionne mieux que notre rayon humour, car l'argument final, c'est "j'ai fait vivre un auteur varois !" "
Difficulté n° 2 : traverser les frontières
Traduire l'humour, bardé de ses jeux de mots et ses références culturelles, s'avère parfois impossible. Pour les travaux de JensK et de Tom Gauld, 404 Grafik et les Éditions 2042 ont dû enlever des strips. " Pour Guillaume Bouzard, l'adaptation en Espagne a été un bide ", rapporte Jean-Philippe Garçon, de 6 Pieds sous terre.
Difficulté n° 3 : déformater le livre
Comme le remarque Nathalie Fiszman, du Seuil, " ce qui est difficile dans l'humour en général, c'est qu'on trouve beaucoup de choses très drôles et gratuites sur les réseaux sociaux. On doit publier des projets pour lesquels les gens investiront dix-vingt euros. Je cherchais à renouveler le format pour les non-lecteurs. " Son pari : des romans-photos délirants avec un casting de stars. Pour le prochain : Nora Hamzawi, Josiane Balasko, le rappeur Eddy de Pretto, Augustin Trapenard et l'humoriste Lison Daniel. Costumes, maquilleurs, assistants plateau, logistique... Un vrai tournage de cinéma. Et ce défi : " Faire rentrer un film dans le budget livre ! " Résultat ? 50 000 exemplaires vendus pour Guacamole Vaudou d'Éric Judor et Fabcaro. Bingo.
Difficulté n° 4 : viser juste
" Trop de blagues tuent les blagues, et c'est pourquoi le politiquement correct et le premier degré finissent par l'emporter sur la dérision. Ce fut le cas aux États-Unis et c'est en train d'arriver en France. Quand on se force à plaisanter tous les jours sur les nouvelles, on court le risque de déraper, de choquer, de braquer, de demander pardon... ", selon Beigbeder. Ardu d'être drôle sans " sombrer " dans le politiquement correct ? " Faire pleurer c'est plus facile ! " rigole Thierry Magnier. Un mauvais livre d'humour sera lui aussi trop facile. " Les livres prout ou caca boudin, les enfants savent eux-même faire ces blagounettes. Autant leur apporter autre chose. " " Si l'auteur force, il tombe vite dans les clichés, la surenchère comique... qui amène l'effet inverse. Pour moi, l'humour, tu l'as ou tu l'as pas ", tranche Renaud Plante, des éditions 400 Coups. Et le second degré n'est pas toujours accessible, reprend Thierry Magnier. " Un petit de 3 ans prend ça au pied de la lettre ! " Faut-il apprendre à rire comme on apprend à lire ?