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Les inventions de Manosque

Benoît Virot (Le nouvel Attila) mène un comité de lecture en public à Manosque: le Labo de l'édition - Photo Anne-Laure Walter

Les inventions de Manosque

Le festival des Correspondances, qui s'est tenu du 23 au 27 septembre à Manosque, renouvelle les formes de médiations autour du livre. Passage en revue des dernières innovations

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Par Anne-Laure Walter, Manosque
Créé le 28.09.2015 à 01h26

Manosque a accueilli du 23 au 27 septembre la 17e édition des Correspondances, festival dirigé par Olivier Chaudenson et Evelyn Prawidlo, qui vient d'être nommée directrice artistique du prochain Salon du livre de Paris et a pour tâche de lui trouver un nouveau souffle et de nouvelles formes. Le festival des Correspondances a toujours été innovant dans sa façon de faire du spectacle vivant avec le livre, de produire des performances artistiques. Les festivaliers ont en effet pu découvrir la performance de Virginie Despentes, samedi soir, lisant Requiem des innocents de Louis Calaferte avec un groupe de rock Zëro. Les Parisiens auront droit à une séance de rattrapage le mardi 29 septembre à la Maison de la poésie.
 
Alors que l'été jouait les prolongations à Manosque, les Correspondances ont drainé un large public, ayant mis à la disposition des festivalier une nouvelle salle au Conservatoire de musique. Elles ont séduit par des formes de rencontres, lancées récemment, qui renouvellent la façon de rendre les textes vivants.  
 
1. Le labo d'édition ou comment se mettre dans la peau d'un éditeur
 
Benoît Virot, qui a fondé le nouvel Attila, a eu l'idée de créer un atelier public de manuscrits. Il a ainsi sélectionné 4 manuscrits parmi les 500 qu'il reçoit chaque année aux éditions, les a transmis au Comité de lecture (association de lecteurs liée à la médiathèque de L'Herbès à Manosque) et leur a demandé de lire ces textes bruts, avant toute intervention d'éditeur. Le résultat était à découvrir lors d'une rencontre publique, le dimanche 27 septembre au matin. " Je voulais que vous fassiez l'expérience de ce qu'il y a en deça du texte imprimé", explique-t-il. Les lecteurs s'opposent, disent leur emballement, leur dégoût, argumentent. Dans le public, plusieurs personnes ont aussi lu ces embryons de romans imprimés sur des feuilles A4. On partage donc ses impressions, son envie "de lire à voix haute" un texte au style théâtral, son identification au narrateur, sa difficulté à se couler dans un style, son agacement quand l'intrigue "fait flop". Au bout d'une heure, l'éditeur reprend la parole et dévoile que ces quatre manuscrits sont en travail chez un éditeur (trois au Nouvel Attila) et aboutiront sans doute à un livre. Il raconte ses emballements, les manuscrits qui l'obsèdent pendant six mois et qu'il finit par signer après les avoir refusés, le travail avec l'auteur sur le texte "glaise à sculpter", l'avis demandé en amont de la publication aux libraires proches... Pour sa première édition, ce "labo d'édition" montre les coulisses du métier d'éditeur, dévoile "le texte comme une matière mouvante" selon Benoît Virot et permet un salutaire travail pédagogique.
 
 
2. La fausse vente aux enchères ou comment valoriser et transmettre un patrimoine
 
Dans le jardin de la maison de Jean Giono, le Paraïs, sur les hauteurs de Manosque, l'écrivain et archivistes Philippe Artières a imaginé avec Evelyn Prawidlo une expérience originale. Il s'improvise commissaire priseur pour une vente aux enchères fictives d'objets issus du "trésor" de Giono pour montrer la valeur des archives d'un auteur. D'autres écrivains se prennent au jeu comme Alice Zeniter, Aram Kebabdjian, Anne-Marie Garat ou Gérard Lefort. Il y a même des enchères par téléphone et un très sérieux catalogue de la vente. Ce format inauguré cette année permet de revisiter de façon originale via une joute ludique, une oeuvre patrimoniale. 
 
3. La Battle littéraire ou comment aiguiser l'argumentation et le sens critique
 
Pour la troisième année, la place Marcel Pagnol a accueilli vendredi 25 septembre des "battles de critiques littéraires". Devant un parterre chauffé à bloc, un jeune lecteur monte sur scène, tente de faire partager son enthousiasme pour un livre pour séduire le public qui votera à la fin. Jean a trois minutes pour défendre 2084 de Boualem Sansal tandis que Zoé a choisi La part de l'autre d'Eric-Emmanuel Schmitt. La battle s'est achevée cette année avec une énergique joute autour de Madame Bovary. Deux jeunes filles sont montées sur scène pour fustiger le roman de Flaubert, contrées ensuite par l'une de leur camarade. 
 
4. La sieste littéraire ou comment faire ressentir la musicalité des créations
 
Chaque jour à 15h, le public pénètre dans la petite salle du théâtre Jean-le-Bleu avec quelques coussins et des paréos. Les plus à l'aise s'allongent au sol, enlèvent leurs chaussures et, au premier son de la cloche, la salle est plongée dans la pénombre pour 60 minutes de "sieste littéraire musicale", concept lancé il y a quatre ans par Bastien Lallemant. Samedi 26 septembre, ce sont Alice Zeniter (Juste avant l'oubli, Flammarion) et Célia Houdart (Gil, POL) qui lisaient des extraits de leurs romans, entrecoupés de moments musicaux interprétés par Camélia Jordana, Maëva Le Berre, ou Albin de la Simone, qui osera une jolie reprise de Ma gueule de Johnny Hallyday. Les yeux fermés, le public écoute ces textes lus à voix basse, des chansons qui racontent des histoires et laisse voguer son imaginaire. L'expérience est particulièrement agréable car s'installe une quiétude, que seul peut perturber le ronflement d'un voisin. 
 
5. Le comité de lecture ou comment faire un travail de fond tout au long de l'année
 
Les "apéros littéraires" durant lesquels les membres du comité de lecture lisent les textes des auteurs invités ne sont pas nouveau. Ils font même partie de l'ADN des Correspondances et témoignent du travail de fond fait tout au long de l'année autour du festival. Mais au fil des années, il a permis de renforcer la qualité écoute du public et par conséquent des échanges. La matinée du 26 septembre en a été la preuve. Six lecteurs, préalablement entraînés par le comédien Raphaël France-Kullmann, ont lu des extraits des romans d'Alain Mabanckou (Petit Piment, Le Seuil) et Philippe Jaenada (La petite femelle, Julliard). Les voix s'alternent, se chevauchent, tremblent parfois. A l'issue de la lecture, et avant une séance de dédicaces, les deux auteurs, qui étaient installés au premier rang, ont été invités à parler de leur texte. Alain Mabanckou et Philippe Jaenada, en deux showmans qu'ils sont, se sont renvoyés la balle, ont multiplié les anecdotes et répondu aux nombreuses interventions du public. 
 
 

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