17 AOÛT - ROMAN France

Eric Reinhardt- Photo FRANCESCA MANTOVANI/STOCK

Il y a un peu plus d'un an paraissait aux éditions Xavier Barral un très beau livre consacré au travail d'architecte de l'agence Valode et Pistre, envisagé à travers douze tours emblématiques. Eric Reinhardt, romancier considéré depuis Demi-sommeil (Actes Sud, 1998) et Le moral des ménages (Stock, 2002) comme l'un des plus importants de ce temps, qu'il examine en entomologiste sarcastique, en signait le texte. On peut désormais lire celui-ci comme un prologue du Système Victoria, son cinquième roman, qui promet d'être l'un des événements de cette rentrée d'automne. Son héros, David Kolski, la quarantaine réglementairement aisée et névrosée, exerce en ces pages le métier (après avoir dû renoncer à ses rêves de jeunesse d'architecture) de directeur de travaux, notamment sur le chantier d'une grande tour parisienne conçue en forme d'éclair. Quelque chose comme un coup de foudre, en somme. Quelque chose qui se rapproche assez de ce qui unit dès le premier regard, dans la galerie marchande d'un centre commercial, David à Victoria de Winter, une femme de son âge, DRH pour un groupe multinational, belle comme Crésus et le désir, "Madone des Sleepings" du village global, se partageant entre Londres, Paris et partout où la jettent son travail et ses élans. Une femme fatale, bien entendu, et d'abord à elle-même. David est père de deux enfants, marié depuis plus de vingt ans à la même femme, aussi attachante que maniaco-dépressive. Victoria ne semble avoir d'autres attaches que celles de sa réussite professionnelle. Leur liaison, qui durera onze mois, est non seulement la chronique d'un désastre annoncé, mais aussi consenti, et peut-être même souhaité par ses protagonistes. Une histoire un peu de cul, pas mal d'amour, une histoire moderne qui se terminera (le lecteur en est averti dès les premières pages du livre) comme elles se terminent toujours : par un homme qui pleure dans sa chambre d'hôtel...

Depuis le succès mérité rencontré par son dernier roman, Cendrillon, qui déjà domina la rentrée 2007, Eric Reinhardt est impatiemment attendu au tournant autant qu'avec impatience. Ce Système Victoria ne décevra que ceux qui sont a priori décidés à l'être... Les autres seront heureux de retrouver la veine du romancier, moraliste, ironique et finalement romantique, tant il est vrai que l'on ne chante jamais que dans son arbre. Le sien, c'est la France d'aujourd'hui, les tours et détours qu'elle emprunte pour éviter d'avoir à se regarder en face... C'est aussi le couple, et ses impasses, comme paradigme d'un corps social exsangue. La force de Reinhardt tient d'abord en ce qu'il n'est pas. Il n'est pas un satiriste comme Houellebecq et a le bon goût de prendre toujours au sérieux son lecteur et son cher sujet. Il ne prétend pas non plus à "réenchanter le monde", mais à dresser avec les armes de la littérature (et de la vacherie aussi, parfois) le constat de son désenchantement. A s'en tenir coûte que coûte à l'énoncé de l'état des choses. Ce n'est jamais dilettante, c'est le plus souvent mélancolique et c'est très ambitieux.

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