7 MARS - ESSAI France

Claude Lévi-Strauss- Photo DR

L'actualité. Il n'y a sans doute pas territoire plus hostile pour l'ethnologue. Néanmoins, Claude Lévi-Strauss (1908-2009) s'est admirablement tiré de cet exercice périlleux. Le recueil publié par Maurice Olender dans sa « Librairie du XXIe siècle » s'ouvre sur une magistrale analyse du père Noël publiée en 1952 dans Les Temps modernes. Pour le reste, il s'agit de seize articles écrits entre 1989 et 2000, destinés au quotidien italien La Repubblica.

L'anthropologue y aborde des sujets qui sont encore d'actualité comme la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels. « Dans les sociétés contemporaines, l'idée que la filiation découle d'un lien biologique tend à l'emporter sur celle qui voit dans la filiation un lien social. »

Qu'il traite de la vache folle, du problème de l'excision, des origines de l'agriculture, de la philosophie d'Auguste Comte, de la mort de la princesse Diana ou d'un tableau de Poussin, Claude Lévi-Strauss montre sa perspicacité. Il donne à l'art de la chronique tout son sens : partir d'un fait pour l'élargir à la dimension du monde. Et revenir vers le lecteur, avec le savoir qui était le sien. « La question, brûlante en France, de savoir si le prêt d'utérus doit être gratuit ou s'il peut comporter une rémunération ne se pose pas en Afrique. »

Là où tant d'« opinions » bavardent pour dire si peu, les siennes entrent dans l'épaisseur du motif, au niveau du mythe, pour s'interroger par exemple sur le cannibalisme à partir des dérives de l'industrie agroalimentaire. Il nous livre aussi quelques formules qui peuvent paraître abstruses pour ceux qui n'ont pas suivi sa démonstration lumineuse : « la pensée occidentale est centrifuge ; celle du Japon centripète ». Lévi-Strauss ne manque pas d'humour aussi lorsqu'il pointe les excès de sa propre discipline. « Il y a cinquante ans, aux Etats-Unis, on disait plaisamment dans les milieux professionnels que la famille indienne comptait au minimum trois personnes : le mari, la femme et l'ethnologue... »

Les « cannibales » du titre font référence à l'expression employée par Montaigne pour désigner les peuples sauvages du Brésil, ceux que Lévi-Strauss connaissait si bien. Et derrière ce terme, il faut donc entendre que nous le sommes tous à divers degrés.

On s'aperçoit qu'il n'y a pas de fond de tiroir chez Claude Lévi-Strauss. Le moindre article est pensé, soupesé. Ce formidable intellectuel n'a jamais cédé à la facilité, cette forme assez répandue de la barbarie. On retrouve ainsi ses convictions sur la pensée sauvage, son pessimisme sur la surpopulation de la planète et la disparition de la diversité culturelle. D'ailleurs, à la veille du cinquième centenaire du voyage de Colomb, il refuse d'utiliser le mot « découverte ». « Je l'appellerais l'invasion du Nouveau Monde, la destruction brutale de ses peuples et de ses valeurs. »

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