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L’étoffe de la grâce

Sainte Isabelle du Portugal, de Francisco de Zurbarán (1635). Musée du Prado, Madrid. - Photo Francisco de Zurbarán/Domaine public

L’étoffe de la grâce

S’inspirant des tableaux de Zurbarán, Florence Delay raconte la vie et l’habit des saintes figurées par le grand peintre du Siècle d’or.

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Par Sean James Rose
avec Créé le 30.03.2018 à 01h38

"Sur le haut de taffetas vert, une chaîne reprend l’arrondi du collier de perles. La manche bouffante, resserrée par des aiguillettes, s’arrête à mi-coude, laissant dépasser la manche rouge d’un vêtement plus près du corps, plus chaud […]." Dans Haute couture, Florence Delay nous invite au salut par les tissus et nous fait sentir l’étoffe de la grâce. La beauté des vêtements sauvera le monde et la bonté revêt les atours de l’élégance: le nouveau livre de la lauréate du prix Femina 1983 pour Riche et légère ne narre pas tant un défilé de mode qu’une galerie d’images pieuses. S’inspirant d’une série de tableaux de Zurbarán, Florence Delay raconte la vie et l’habit des saintes figurées par le grand peintre du Siècle d’or contemporain de Vélasquez, quoique d’une notoriété moindre. Casilda de Tolède, les patronnes de Séville Juste et Rufine, Marguerite d’Antioche, Euphémie de Chalcédoine, Eulalie de Mérida, Engrâce de Saragosse… Ces femmes de haute vertu ne sont pas sans rapport avec la couture, car, outre les attributs de leur sainteté - palmes du martyre, nimbe auréolant leur tête, symbole de leur supplice (Lucie les yeux arrachés; Agathe les seins coupés; Catherine à la roue dentelée) - Zurbarán les habille tel un couturier: "Une mousseline indolente couvre le décolleté" ; "entre rose et réséda, nouée sur le côté, une ceinture finement rayée à dominante rouge souligne une taille de guêpe". C’est souvent "à la fois simple et sophistiqué" - le summum du style, comme chez son compatriote: Cristóbal Balenciaga (1895-1972). Celui que même les plus grands Français saluaient comme le chef du "grand orchestre" de la haute couture (Dior), voire le dieu de cette "religion" (Givenchy), se serait inspiré du maître du Christ en croix du couvent dominicain San Pablo el Real, à Séville, qui valut à l’artiste né en Estrémadure l’honneur de résider dans la capitale andalouse sans devoir passer l’épreuve imposée à tout peintre de l’extérieur. Sublime architecture des drapés, hiératisme de la silhouette, une sensibilité commune, donc, entre Zurbarán et Balenciaga, ces deux Basques d’origine (le premier l’est par son père qui était marchand drapier), mais plus personnellement aussi, un fil secret, propre à Florence Delay (c’est là toute l’originalité de ce petit bijou de texte), qui relie l’un et l’autre dans la mémoire de l’académicienne, et qui explique en partie son goût de l’Espagne, de sa culture, de sa littérature dont elle a traduit des œuvres: les robes du grand couturier que portait sa mère. Sean J. Rose

30.03 2018

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