23 août > Histoire France > Michelle Perrot

"Notre vieille maison est un coin assez curieux, où l’on a réussi, pendant trente ans, à vivre en dehors de toute convention et à être artiste pour soi, sans se donner en spectacle au monde." Pour George Sand, sa famille, ses amis, ses amours et ses voisins berrichons, ce fut un lieu inspirant à nul autre pareil. Un tel endroit méritait une biographie. Pour cela, il fallait le talent de Michelle Perrot, grande historienne des femmes et du monde ouvrier, prix Femina essai pour Histoire de chambres (Seuil, 2009), qui s’est intéressée sur le tard à l’auteure de La mare au diable. Elle a découvert sa personnalité, son engagement, sa liberté et surtout cette montagne littéraire composée de près de cent romans, de centaines de pièces de théâtre et d’essais et de cinquante mille lettres. Presque tout a été écrit à Nohant.

Il fallait donc décrire cet "atelier d’artiste" où Chopin composa aussi l’essentiel de son œuvre, cet endroit qui a accueilli un théâtre, vu défiler le Tout-Paris des lettres et des arts, mais dans le Berry, loin de l’arrogance de la capitale. C’est là que s’est édifié un petit musée de passion et de chagrin, de pleurs et de joies, de discussions politiques et de rêveries romantiques.

En trois parties - les gens, les lieux, les temps -, Michelle Perrot fait le tour de cette propriété avec ses 200 hectares de terres - "je suis un paysan au physique et au moral", confiait l’écrivaine - et son grand parc. De la famille aux domestiques auxquels on apprend à lire, jusqu’aux animaux, elle nous dit tout.

Mais c’est surtout la manière dont les êtres et Nohant se nourrissent, la façon dont ce lieu a été vu, voulu et vécu par George Sand, qui retient l’attention. La maison est un songe, un rêve de famille élargie, libre et créatrice.

Elle trouve sa fille Solange volage, et son fils Maurice paresseux. Mais qu’importe, l’essentiel est d’être ensemble. Et il n’y a pas que la famille et les amants. "Je cherchais l’amitié sans l’amour comme un refuge ou un sanctuaire où je puisse oublier l’existence de toute affection orageuse et navrante."

Avec la phtisie de Chopin, elle passe du rang de maîtresse à celui de garde-malade. L’amour platonique, qui est à l’amour ce que la réserve est à l’armée, devient une obligation. Il reste alors la maison, son projet, son phare, sa thébaïde. "Lire, fumer, souper, boire du café, écrire, être à Nohant et complètement seule dans le profond silence de la nuit."

Liszt et Marie d’Agoult, Tourgueniev et Pauline Viardot, Delacroix, Balzac, Théophile Gautier ou Alexandre Dumas fils séjournent à Nohant, qui n’est plus qu’à douze heures de Paris par le train en 1850, alors qu’il fallait prévoir deux ou trois jours au début du XIXe siècle. Michelle Perrot raconte aussi cette maison où les corps vieillissent et où les passions s’émoussent.

Berrichons, libres-penseurs, républicains et socialistes constituent le noyau de ce lieu sauvage, isolé et paisible. "Entre Sand et sa maison, écrit Michelle Perrot, les liens sont forts, émotionnels, presque organiques." Cette exaltation est subtilement distillée dans ce livre remarquable. L. L.

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