Roman/États-Unis 3 janvier Katharine Dion

« Du vivant de Maida, cette tendance à les mettre en retard avait été une source de frustration sans fin ; aujourd'hui, il nourrissait une tendresse particulière à l'égard du chaos de sa femme. Soudain, tout ce qui avait appartenu à Maida - les pièces qui avaient traîné dans sa poche, l'heure et la minute à laquelle elle avait réglé sa dernière alarme - était empreint de signification. En une folle inversion du temps, Gene faisait le deuil de son épouse comme il en était tombé amoureux. »

Maida est morte. Pour Gene, qui fut son mari depuis près d'un demi-siècle, le monde n'a pas cessé de tourner, mais il lui devient à peu près inintelligible. Le deuil a des usages (préparer la cérémonie des adieux, trouver que dire à ceux qui envahissent de leur sympathie) que la raison refuse. Dans cette épreuve, ou au moins dans ce monde redevenu désert, Gene n'est pas seul. Il a auprès de lui Ed et Gayle, ses amis de toujours, rencontrés à l'université, qu'il n'a jamais vraiment quittés depuis. Il a aussi sa fille, Dary, qu'il a aimée, qu'il aime, sans avoir finalement cherché vraiment à la connaître. Il a enfin et peut-être surtout ce tas de secrets, cette guirlande de souvenirs comme autant de fragments d'un miroir désormais brisé, qui font l'ordinaire en même temps que la part d'ombre d'un couple. Gene ne va d'abord pas savoir s'y retrouver. Retrouver ce qui fut les plaisirs et les jours de cet homme prétendument simple, gérant pendant des décennies d'une boutique de chaussures dans une petite ville du New Hampshire. Pourtant, peu à peu, comme surgi du deuil, réveillé de l'oubli, un nouveau « paysage » va s'imposer à lui. Les choses étaient peut-être moins évidentes qu'elles n'en avaient l'air, sa femme plus lointaine, sa fille plus étrangère et la vie moins déchiffrable. Cette prise de conscience douloureuse, née à la source du passé, sera pourtant pour Gene comme l'unique et inattendue porte ouverte vers ce qui l'attend désormais. Le retour vers sa vérité, vers celle des siens.

Cet argument, classique du roman d'analyse psychologique, rend très imparfaitement hommage à la beauté lumineuse et alanguie d'Après Maida, le premier roman de l'Américaine Katharine Dion. Il n'en dit rien. Ce qu'il faudrait surtout donner à voir, ce ne sont pas les effets de maîtrise romanesque, mais tout ce en quoi ce livre découle, fuit, échappe sans cesse à son sujet. Il y a dans ce rêve éveillé une scène initiale, un lieu à part qui est profondément celui du romanesque ; c'est une maison au bord d'un lac, traversée de rires, d'enfants et de visiteurs de l'été. Katharine Dion écrit depuis ces mondes mouvants. En ce sens, dans cette échappée belle, son livre aborde aux rivages épiphaniques qui furent avant elle ceux des maîtres tutélaires, James Salter et John Cheever, et aujourd'hui ceux d'un Adam Haslett (qui, parmi d'autres comme Nathan Hill ou Jeffrey Eugenides, fut parmi les premiers à saluer la beauté de ce roman). Voilà donc cette jeune femme en bonne compagnie. Tout indique qu'elle n'est pas près de la quitter.

Katharine Dion
Après Maida - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Juliane Nivelt
Gallmeister
Tirage: 9 500 ex.
Prix: 22 euros ; 272 p.
ISBN: 9782351781869

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