3 avril > Roman France

Même si, cette fois-ci, ce nouveau livre ne devrait pas être accompagné d’un jugement de justice inséré, Marcela Iacub y pose une fois encore de dérangeantes mines. Moins fable à clés au polluant parfum de soufre que Belle et bête, Œdipe reine peut ainsi être un bon point d’entrée pour des lecteurs qui ne seraient pas encore familiers du féminisme armé de la juriste chercheuse. Ce conte philosophico-pornographique dans lequel une femme, Juliette, met en place un scénario de vengeance contre Samuel, son amant, abuseur de femmes, reformule en effet les fondements pratiques de sa position. Et confirme le goût de son redoutable esprit pour la figure du renversement quand l’humilié devient l’humiliateur. L’abuseur, l’abusé. Dans ce changement de perspective, le sexe féminin n’est pas vu comme pénétré mais envisagé comme dévorant. Dans une permutation permanente des rôles sexuels, il s’agit de vivre une expérience alternée d’abandon et prise de contrôle. "Devenir maîtresse de son abandon", préalable à une réelle égalité dans le plaisir entre les hommes et les femmes. Condition nécessaire à l’égalité tout court.

Pour Iacub, et son héroïne qui n’est pas le genre à avoir l’humiliation penaude, victimaire, le plaisir est politique et il faut revendiquer pour les femmes une extension du domaine de la jouissance. Il faut réveiller "la méduse", cette jouissance profonde, étendue, que toute femme est en devoir d’atteindre pour se libérer. Dans le conte, la vengeance de la narratrice passe par l’initiation de la jeune et inexpérimentée Sophie qui requiert un pacte préalable de confiance. Le (la)lecteur(trice) peut ne pas accepter la leçon avec autant de docilité. D’autant qu’il y a quelque chose d’assez agressif dans cette figure d’éducatrice-chef de guerre qui met de côté toute forme de camaraderie bienveillante des femmes entre elles, pour défendre une position de tireuse solitaire en avant-poste. Et avant d’être une écrivaine, Marcela Iacub est une théoricienne : Œdipe reine n’a donc pas la transgression aussi poétique que Petite table, sois mise d’Anne Serre (Verdier). Mais dans la croisade vitale pour l’empowerment, on voit mal comment on pourrait se passer de sa puissance de tir. V. R.

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